26 février 2009

Colonel Jean Sassi (8)
























Khang Khai, Laos, Mai 1954. Le Capitaine Sassi décore un de ses partisans Hmongs.

















Touby Lyphoung, chef spirituel des Hmongs, Khang Khay, Laos, Avril 1954. Mort dans les camps de déportation Viet-Minh.

L'ACTION PSYCHOLOGIQUE EN INDOCHINE.

LE DOUGLAS DAKOTA F-RBGZ/47 "HAUT PARLEUR"

Texte de Philippe Raggi, paru dans la Revue Historique des Armées, n° 194, mars 1994, pp. 44-53.


Indochine 1952. La guerre dure depuis plus de six ans. Après l'année du "Roi Jean"(1), qui vit des actions offensives couronnées de succès, la situation générale en Indochine est plus que préoccupante. Le Viet-Minh (V.M.) qui s'est affirmé, passe après la guérilla et le mouvement, à la contre-offensive générale, phase finale de la guerre révolutionnaire.

L'aide chinoise apportée massivement dès le début de 1950 aux troupes de Vo Nguyen Giap, va modifier le rapport de force avec l'armée française. À cause d'elle ce sera pour la présence de la France en cette partie d'Extrême-Orient, le début de la fin. Le drapeau français y aura flotté au total plus d'un demi-siècle.

Cette aide chinoise n'aura été toutefois qu'un des facteurs de la défaite. En effet, il faut ajouter que depuis le début de cette guerre, l'armée française est confrontée à un conflit d'un type nouveau. Les hauts responsables militaires, en grande partie, formés à l'Ecole de Guerre, s'adaptent mal à la technique V.M. dans la conduite des opérations. Parmi les cadres français, certains officiers - jeunes Lieutenants ou jeunes Capitaines au début du conflit - seront cependant en mesure de répondre aux exigences de la "guerre moderne", en sachant oublier les méthodes classiques, ayant acquis un sens aigu du terrain et de l'action, ainsi qu'une expérience sans égale. Ces Officiers pionniers, réussiront - malheureusement trop tard- malgré la lourdeur et la réticence des Etats-Majors, à imposer des structures adéquates pour lutter efficacement contre le V.M.

Un des éléments de cette guerre moderne sera la subversion et son pendant : l'action psychologique. Inexistante jusqu'au début des années 50, cette forme de combat s'élaborera progressivement et sera menée par des unités particulières comme le GCMA (Groupement de Commandos Mixtes Aéroportés), à l'instar de la "Section 49" (2), c'est à dire du SDECE (Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage). Il est à noter que des tests ont été toutefois réalisés par la section "action psychologique" du 2ème Bureau, comme ceux sur l'emploi de l'avion Dakota C.47 "Haut-Parleur" (H.P.).

Missions spéciales.

Le 3 décembre 1952, un Dakota C.47 se pose à Hanoi (Tonkin). Cet appareil qui vient de Corée est américain. Il a été mis à la disposition du Général Commandant en Chef de l'époque, le Général Salan, pour trois semaines.

Ce Douglas Dakota n'est pas un avion comme les autres. En effet, la France qui utilise depuis le début du conflit ce type d'appareil, dans sa version de base (pour des missions comme le ravitaillement par air et le largage de parachutistes), va se servir de cet unique exemplaire du C.47 HP, pour des tests dans le cadre des actions du 2ème Bureau. L'avion est doté d'un appareillage particulier et il n'est utilisé que pour mener une forme offensive de l'intoxication, que pour mener "un combat malin et insidieux" (3) : l'action psychologique.

Bénéficiant des derniers renseignements obtenus au cours des essais effectués en Malaisie par la section des recherches opérationnelles (SRO) de l'armée britannique, l'équipage et l'officier chargé de l'action psychologique mirent au point, en accord avec le responsable de la propagande aux F.T.N.V. (Forces Terrestres du Nord Vietnam), la première mission qui commençait le 4 décembre au matin. Ces renseignements en question, recueillis auprès des britanniques, qui utilisèrent avant nous cet appareil, facilitèrent grandement l'organisation des missions et l'emploi de l'avion.

Il s'agissait pour le Dakota de survoler des zones déterminées du territoire Indochinois afin de larguer des tracts, des journaux, et surtout de lancer, par le biais d'un appareillage radiophonique fort puissant, des slogans précis et ce dans les langues et dialectes respectifs des zones survolées (Thaï, Hong, Vietnamien, Laotien, Méo, Mung, Man, Tho, Annamites...). au Nord-Vietnam, l'avion effectuera 10 missions, au Centre-Vietnam 3 missions, et au Sud-Vietnam une mission seulement. L'appareil utilisera la presque totalité de son potentiel aérien au bénéfice du champ de bataille du Tonkin, et les missions consacrées au Centre et au Sud furent réalisées sur l'itinéraire de retour. Au total, le bilan se résume comme suit : 14 missions opérationnelles, 52 heures de vol, 31 heures d'émission de slogans, 4 100 00 tracts largués ainsi que 6 000 journaux. (Cf. Annexe I)

L'utilisation du Dakota H.P.

Au Nord-Vietnam, l'avion survola la zone autonome du Nord-Ouest, et "travailla" sur les Divisions régulières V.M. et la population Thaï. Dans le Delta, ce fut sur les unités régulières ou régionales (dans le cadre des opérations en cours), et l’ensemble des populations y vivant. Dans la région de Thanh-Hou, ce furent les grandes agglomérations et les axes routiers (R.C. n°1).

Au centre-Vietnam, ce seront les régions non contrôlées par l’armée françaises et les agglomérations de Tourane, Hué et Nhatrang, qui feront l'objet de "traitement" par l'appareil en question.

Au Sud-Vietnam, la mission unique se fit sur les régions non contrôlées ainsi que sur les populations amies (en particulier Saïgon).

La date de restitution de l'appareil, fixée impérativement au 20 décembre, imposa aux responsables de l'action psychologique, une préparation hâtive et souvent précipitée de ces missions. Le rapport fait sur l'emploi de l'avion (4) précise "qu'un prêt à échéance moins rapprochée aurait permis une utilisation plus opérationnelle et plus opportune d'un potentiel aérien qu'il convenait d'employer à tout prix."

En ce qui concerne le mode d'utilisation, la plupart des émissions furent réalisées en utilisant des textes préparés et enregistrés à l'avance. Cependant quelques contre-temps (météo défavorable, priorité d'une mission dans un secteur non prévu) obligèrent l'utilisation d'un microphone. Le compte-rendu d'utilisation souligne que ce procédé, qui donna de moins bons résultats à l'audition, "ne devait pas être condamné à priori".
Contrer l'adversaire autrement que par les armes.

Le Dakota H.P. était utilisé rappelons-le, pour le compte de la section "Action Psychologique" du 2ème Bureau. Mais qu'entendons-nous précisément par "Action Psychologique" ? Il s'agit d'une forme de combat particulière, non seulement pour se défendre, pour dérouter l'adversaire sur nos intentions, pour l'induire en erreur sur notre organisation, nos possibilités ou nos activités, mais aussi de mettre en échec sa propagande et son influence en jetant le trouble dans les esprits, par tous les moyens.

Ainsi, englobe-t-elle tous les procédés de propagande et de sujétion psychologiques connus ou imaginables. Largement comprise, elle donne accès aux domaines les plus divers et parfois les plus éloignés des préoccupations coutumières des armées : domaine politique, économique, religieux, social, humain.

Le combat mené en Indochine de 1946 à 1954, fut laborieux, car la France avait en face d’elle une armée politique, l’armée du Viet-Minh. Et il s’agissait pour les Français aussi – en dehors du combat classique – de construire du positif, d’imprégner le Vietnam d’une idéologie ou, tout au moins, d’un esprit, systématiquement, rationnellement, selon un plan d’ensemble. Cet esprit, encore fallait-il l’avoir pour tenter de l’inculquer !

L’Action Psychologique, branche de l’ « Action », requiert des qualités, des connaissances. Il s’agit de connaître à fond l’adversaire, sur le plan général comme sur le plan local, dans sa doctrine, ses principes, ses méthodes, ses finesses et ses erreurs ; dans ses activités, son organisation, ses dissensions. En même temps, il s’agit de se pencher sur les populations, ralliées ou non, pour découvrir leurs fibres sensibles au travers de leurs tendances, de mesurer leur degré de sympathie pour l'un ou l'autre camp, en analyser les motifs.

C'est après ce travail, et après seulement, que la possibilité est donnée d'orienter l'Action, la propagande, l'attitude des combattants militaires. Mais ceci demandait de pénétrer réellement le pays en question (l'Indochine), de se passionner, pour lui, sinon il n'y aurait pas eu plus de possibilité d'action psychologique que d'Action tout court. Arrivé à ce point de notre analyse, il nous est plus aisé de saisir la porté, la richesse, la justesse des slogans utilisés par le Dakota C.47 H.P.

Les slogans utilisés.

Différents thèmes sont abordés, comme le "Service Auxiliaire Obligatoire" :

- Dan Công (5) ! Qu'avez-vous fait pour mériter ces travaux forcés que vous inflige le Viet-Minh ?
- Dan Gong ! Vous croyez être à l'abri, mais nous vous distinguons très bien de notre avion.
- Dan Công ! Votre calvaire n'est pas terminé ! les V.M. n'en sont qu'à leur sixième campagne automne-hiver.

"L'Impôt Agricole" aussi, fait l'objet d'attention :

- L'impôt agricole nourrit le V.M. et prolonge la guerre.
- Paysans votre production vous sera entièrement volée par le V.M.
- Après votre paddy (6), le V.M. vous demandera le sang de vos fils.
En zone contrôlée par l'armée française, les slogans sont adaptés :

- La présence d'un seul V.M. suffit à troubler la sécurité de votre village.
- Les troupes nationales assurent votre protection. Si vous voulez sauvegarder la sécurité de votre village, dénoncez les cadres V.M. qui s'y infiltrent.
- La récolte est terminée ! En donnant votre paddy au V.M., vous contribuez à faire traîner cette guerre en longueur et à prolonger votre propre calvaire.

Les slogans lancés au dessus des populations en zone de guérillas sont tout aussi ciblés :

- Les V.M. de la Paix sèment la peur et récoltent tout le fruit de votre peine.
- Constatez, compatriotes! Les V.M. ne viennent chez vous qu'une fois la récolte terminée : ils ne s'intéressent qu'à votre paddy !
- Constatez, compatriotes! Les V.M. n'établissent jamais leur cantonnement dans les villages pauvres. Seuls les greniers de paddy les attirent !

Au dessus des zones totalement aux mains de l’armée V.M. (réguliers et régionaux), les slogans sont aussi déstabilisants :

- Combattants V.M. ! Comptez vos morts de la campagne automne-hiver 1951 et dites-vous bien que le Delta est le tombeau des unités V.M.
- Combattants V.M. ! Vos chefs incapables vous conduisent chaque année à la boucherie !
- Combattants V.M. ! Vous n'êtes pas les seuls à avoir le droit d'aimer votre pays et à savoir l'aimer! En face de vous, il ne manque pas de patriotes éclairés.

Toujours dans les régions aux mains du V.M., les renseignements obtenus par les services compétents, permettent d'adresser des slogans à des Divisions V.M. précises, comme la DD 308, la 312, la 316, la 320 :

- Camarades des DD 308-312-316-320 ! Faites le bilan de vos pertes actuelles ! Et comptez les chances qui vous restent de survivre à cette 6ème campagne automne-hiver.
- Que pouvez-vous contre l'aviation? Pas plus que l'œuf ne peut contre la pierre!
- Camarades des DD 308-312-316-320 ! Tous vos sacrifices sont vains ! Vous seuls supporterez les conséquences de votre témérité !

Au dessus de certaines populations survolées, comme ici pour les Thaï, les slogans sont bien entendu en rapport avec la situation locale :

- Compatriotes Thaï! Les V.M. ont résolument sacrifié des milliers de jeunes gens pour venir vous opprimer dans votre pays !
- Compatriotes Thaï de Lao-Kay, Phong-Tho ! Tant que durera cette guerre, vous n'aurez pas cessé de souffrir ! Aidez les troupes franco-vietnamiennes à rétablir l'ordre et la sécurité.
- Mettez-vous toujours en groupe en terrain découvert pour que l'aviation ne vous mitraille pas.

Ainsi encore sur la R.P. 41 (7) et au dessus de Parang, Sop San, Yen Chau, Dinh Lap, Tien Yen, Langson... d'autres slogans seront lancés, toujours avec rigueur, méthode, finesse afin d'obtenir un impact maximal. Il s'agit toujours de répandre des idées simples, susceptibles de toucher progressivement l'ensemble des populations. Les slogans, les tracts que déversait le Dakota H.P., exploitaient une situation, réfutaient la propagande adverse sur un point déterminé, avertissaient les populations, les éclairaient, leur inculquaient du positif, lançaient des rumeurs. Tout ceci peut sembler banal mais, une idée qui fusait au bon moment, se multipliait à l'extrême et servait donc les intérêts français.

Des résultats, un enseignement, une méthode.

L'impact des tests effectués par le Dakota H.P. ne fut pas négligeable. Le fait que certains comptes-rendus V.M. aient été reproduits, dans leur intégralité (les slogans et textes) prouvait l'efficience de ce mode nouveau de propagande.

Le prêt de plusieurs appareils identiques et pour un laps de temps plus long aurait permis, aux services spécialisés en matière de propagande, de s'intégrer plus activement dans le cadre des activités militaires françaises en Indochine et aurait donné à la Guerre Psychologique une forme beaucoup plus incisive et vraisemblablement plus efficace. Abondèrent dans ce sens, auprès de leurs autorités respectives, M. Ehrlich, chargé de la propagande auprès des services de l'information américaine en Indochine, ainsi que le Chef de Bataillon Tran Tu Oai, de l'Etat-Major de l'armée vietnamienne, qui participèrent à une des 14 missions du Dakota C.47 H.P. Il ressort de l'observation sur ce point particulier de l'activité de l'armée française en Indochine, que le maître mot qui aurait pu modifier le sort de la situation sur place était : adaptation.

Le V.M. fut plus vigoureux, inventif, que les militaires français ne l'imaginaient. Son caractère communiste s'était affirmé dans ses actes, dès le début, en dépit de ses allégations. Comme tel, il hérita des méthodes imaginées à Moscou, éprouvées par Mao Tse Toung, mises au point un peu partout durant la seconde guerre mondiale.

Aux troupes françaises prêtes pour le combat, le V.M. a opposé, derrière un rideau de troupes populaires, une machine politique trop nouvelle et trop complexe pour son adversaire.

Par sa politique trouble, insidieuse, mensongère mais efficace, le V.M. a fait surgir une idéologie dans le peuple même; la guerre devint une croisade. La masse entière s'est vue intégrée dans la résistance populaire, mouvante et dynamique. Un effort prodigieux de propagande s'était appliqué sur elle, puis un remarquable travail d'éducation : éducation politique profonde qui fit renaître le peuple à une vie nouvelle en dehors de laquelle bientôt, il n'eut plus d'autre horizon. C'était élever l'Action Psychologique au rang de première institution d'Etat, en faire l'assise de tout un système.

La force du V.M. communiste était là. Canalisant à son profit deux courants force sans précédents, la marche en avant du prolétariat et celle des peuples dits opprimés, il encra, un mythe surfait mais efficace au plus profond de la masse, homme par homme, selon un plan d'ensemble, selon un rite standard assez souple pour réussir.

Face à cette armée V.M., l'armée française en Indochine était la principale force vive. Elle aurait dû s'adapter. L’ « Action » et en particulier 1’ « Action psychologique » étant avant tout œuvre d'imagination, les cadres (officiers, sous-officiers) auraient dû - pour s'instruire politiquement, pour éduquer ensuite leurs hommes et les populations - abandonner un conformisme coutumier, né de la discipline ancestrale mais proche de la passivité intellectuelle.

Et qui, plus que nul autre, peut parler et conclure ces propos, sinon le Colonel Roger Trinquier, spécialiste de la guerre de guérilla, de la guerre subversive ? Dans son livre paru en 1961 ("La guerre moderne"), cet homme unique et remarquable, dont les hauts responsables militaires et politiques n'ont pas fini d'exploiter les travaux, disait : "La guerre moderne [révolutionnaire (8)] n'ayant pas été codifiée, reste encore officiellement ignorée. (...) Dans cette guerre d'un type particulier, comme dans les guerres classiques d'autrefois, c'est une nécessité absolue d'employer toutes les armes dont se servent nos adversaires; ne pas le faire serait une absurdité. Si nous avons perdu la guerre d'Indochine, c'est en grande partie parce que nous avons toujours hésité à prendre les mesures qui s'imposaient, ou que nous les avons prises trop tard."(9)


Notices - Bibliographie :

Les informations sur l'emploi du C.47 "Haut-parleur" sont issues des recherches effectuées auprès des archives de l'Armée de Terre (S.H.A.T.) : 10H439 et 10H 2559.

Sur la guerre subversive et la guerre psychologique en Indochine on peut lire :

- Les maquis d'Indochine. Roger Trinquier. Edition SPL. Ligugé 1976. (Epuisé)
- La guerre moderne. Roger Trinquier. La table ronde. Mayenne 1961. (Epuisé)
- Guerre, Révolution, Subversion. Roger Trinquier. : "' Nouvelles Editions Latines. Paris 1964.
- Revue Historique des Armées. N°2, 1979. "Témoignages sur les maquis d'Indochine" de Roger Trinquier.
- Le Viet-Minh et la guerre psychologique. Yvonne Pagniez. La Colombe 1955.
- Revue «Stratégie». N°41, Jan./Fev./Mars 1975. "Guerre psychologique et propagande communiste au Vietnam" de B. Haggman.
- Guerre du peuple, armée du peuple. Vo Nguyen Giap. Fr. Maspero. Cahier libre 82. Paris 1966. (Epuisé)
- La guerre révolutionnaire. Claude Delmas. P.U.F. Coll. que sais-je ? Paris 1959.

Et sur la guerre de guérilla et la stratégie en général on peut se référer à :

- Œuvre I : Textes militaires. Ernesto Che Guevara. FM/Petite Collection Maspero. Paris 1976. (Epuisé)
- Le socialisme et l'homme. Chap. La guerre de guérilla: une méthode. Ernesto Che Guevara. FM/Petite Collection Maspero. Condé-sur-noireau 1967. (Epuisé).
- L'art de la guerre. Sun Tzu. Champs Flammarion. N° 58. Saint-Amand-Montrond (Cher) 1972.
- Œuvres choisies de Mao Tsé Toung (5 vol.). Edition en langues Etrangères. Pékin 1967.
- Stratégie de la guérilla. Gérard Challiand. Idées/Gallimard. Saint-Amand (Cher), nouvelle édition 1984. Et la plupart des ouvrages de G. Challiand.


Annexe 1

Missions n° 1
Date : 04 décembre 1952
Durée : 2h45
Emission : 1h00
Largage : 100 000 tracts.

Missions n°2
Date : 05 décembre 1952
Durée : 3h35
Emission : 3h00
Largage : 250 000 tracts.

Missions n°3
Date : 06 décembre 1952
Durée : 2h35
Emission : 2h20
Largage : 200 000 tracts.

Missions n°4
Date : 07 décembre 1952
Durée : 4h35
Emission : 3h45
Largage : 200 000 tracts + 2 000 journaux.

Missions n°5
Date : 08 décembre 1952
Durée : 3h15
Emission : 2h30
Largage : 285 000 tracts + 1 500 journaux.

Missions n°6
Date : 11 décembre 1952
Durée : 4h40
Emission : 3h45
Largage : 400 000 tracts.

Missions n°7
Date : 12 décembre 1952
Durée : 3h05
Emission : 1h20
Largage : 300 000 tracts + 1 200 journaux.

Missions n° 8
Date : 13 décembre 1952
Durée : 4h05
Emission : 3h00
Largage : 500 000 tracts.

Missions n°9
Date : 14 décembre 1952
Durée : 3h40
Emission : 3h00
Largage : 300 000 tracts + 1 200 journaux.

Missions n°10
Date : 15 décembre 1952
Durée : 3h25
Emission : 2h30
Largage : 450 000 tracts.

Missions n°11
Date : 16 décembre 1952
Durée : 2h30
Emission (total 11 & 12) : 2h30
Largage (total 11 & 12) : 500 000 tracts.

Missions n°12
Date : 16 décembre 1952
Durée : 1h00

Mission°13
Date : 17 décembre 1952
Durée : 2h00
Emission : 1h30
Largage : 300 000 tracts.

Missions n°14
Date : 18 décembre 1952
Durée : 1h30
Emission : 0h30
Largage : 300 000 tracts.

Notes :

(1) Le Général Jean de Lattre de Tassigny, Haut-commissaire et Commandant en Chef en Indochine de décembre 1950 à janvier 1952.
(2) Crée le 7.4.51 par décision n' 174/OB.BL/ED.
(3) Col. Roger Trinquer. Rapport d'activité du GCMA, 4ème Trimestre 1952.
(4) Fait à Saigon le 20 décatie 1952.
(5) Auxiliaires civils du V.M.
(6) Riz non décortiqué.
(7) R.P. 41 : Route Provinciale n°41.
(8) Ndr.
(9) La guerre moderne. Pages 186-187.

LES SERVICES SPECIAUX FRANÇAIS EN INDOCHINE (*)

Texte de Philippe Raggi, paru dans la Revue Historique des Armées, n° 194, mars 1994, pp. 44-53.

"Ce serait une stupidité de croire qu'un peuple sans défense n'aurait que des amis, et il serait bas et malhonnête de compter que l'ennemi se laisserait peut-être attendrir par la non résistance."
Carl SCHMITT. La notion de politique. (Chap. V.)


Lors de la guerre d'Indochine, en dehors des combats menés par les troupes régulières de l'armée française, quelques unités relevant des services spéciaux menaient une autre guerre. En utilisant toutes les ressources de ces services, les français purent lutter efficacement contre le Viet-Minh (V.M.).

Ponctuellement, et malheureusement tardivement, un de ces services - le service Action - a pu, sur le terrain et en utilisant les armes de son adversaire, vaincre les armées de Vo Nguyen Giap. Il faut dire que la France menait une guerre d'un type nouveau et, en 1952, en dehors de quelques "coups" victorieux (Le Day, Ninh Binh, Vin Yen...), la zone du delta (Tonkin) - sous contrôle français - se réduisait telle une peau de chagrin. Pour porter un coup décisif, il fallait à tout prix couper cordons et voies de ravitaillements aux armées V.M., et ce en rendant imperméable la frontière avec la Chine communiste de Mac Tsé Toung. C'est ainsi que des zones de maquis furent créées dans les hauts plateaux et les montagnes proches du Yunnan; il fallait aussi empêcher les armées V.M. de déferler vers le Sud et de prendre le Laos, jusqu'alors hors de l'emprise rouge.

Seuls les peuples qui ont une grande mémoire, à dit Friedrich Nietzsche, sont ceux qui auront un avenir. Ainsi, même aujourd'hui, il est opportun de regarder d'un peu plus près cette période de l'Histoire à travers un aspect fort méconnu de la guerre d'Indochine.

Mais avant de suivre les hommes du service Action, tachons de voir plus clair dans ce monde des services spéciaux français. Notons que notre but ici, n'est pas d'entretenir le mythe des "hommes de l'ombre" (sic), mais bien de comprendre ce qui a fait la réalité du travail et de l'action des militaires du S.D.E.C.E. (Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage) pendant la totalité du conflit.

Le S.D.E.C.E. fut créé le 28 Décembre 1945. Et les événements en Indochine débutèrent lors de la reprise en main du territoire par les forces armées françaises de Leclerc et de Valluy. Il fallait en effet, après 1945 et la reddition japonaise, réoccuper le terrain aux mains des troupes chinoises nationalistes au nord de l'Indochine, et reprendre au sud le commandement dévolu jusqu'alors aux armées britanniques. Il s'agissait donc d'une reprise de souveraineté.

Face à l'armée française il y avait toutefois un obstacle : le Viet-Minh. Ho Chi Minh, qui fut un temps la coqueluche des américains en 1945, était désormais un chef politico-militaire important ; et l'absence de directives précises par l'autorité métropolitaine, pour l'accomplissement de l'action militaire d'une part et politique d'autre part, fut préjudiciable en ce sens que prises à temps elles auraient pu liquider le Viet-Minh.

C'est en 1947 que furent enfin clairement définies les attributions et les structures des services spéciaux en Indochine (1). Ces services étaient rattachés à l'Etat-major particulier du Ministre Français des Etats Associés. La base Indochine du S.D.E.C.E. se composait de quatre services:

- Le Contre-Espionnage (C.E.) chargé de :
1) la recherche, la centralisation, l'exploitation locale et la transmission à la Direction Générale D.E.C. de tous les renseignements de Contre-Espionnage.
2) la coopération à la répression locale de l'espionnage, laquelle, restait assurée par les services locaux de Police.

- La Contre Ingérence (C.I.) chargé de la recherche des ingérences étrangères dans tous les domaines (politique, économique, culturel, etc.).

- Le Service de Renseignement (S.R.) chargé de la recherche de renseignements de toutes natures (militaire, politique, économique, culturel, sociaux et scientifique) sur les possessions étrangères ou pays étrangers voisins des Territoires d'Outre-mer sur lesquels le S.R. est implanté.

- Le Service Technique des Recherches (S.T.R.) chargé de l'exploitation générale des écoutes radioélectriques (claires et chiffrées) et responsable du décryptement des textes chiffrés interceptés par le G.C.R (Cf. Infra). L'effectif cadre de ces services comportait 47 Officiers et 108 Sous-officiers, et ne se modifia guère par la suite.

Et deux groupements parachevaient les services spéciaux :

- Le groupement des Contrôles Radioélectriques (G.C.R.) (2), pour l'interception des émissions radioélectriques et radiotélégraphiques (émissions radiotélégraphiques en morse - manuel ou automatique - et par téléscripteur) pour l'exploitation des textes non chiffrés interceptés (bulletin des écoutes V.M., fiches de renseignements diverses), et enfin pour la localisation, à l'aide de stations radiogoniométriques fixes ou mobiles, des émetteurs interceptés. Il est à noter qu'aucune subordination n'existait entre le G.C.R. et le S.T.R.. Ce service comptait à sa création 80 employés civils, 67 Sous-officiers et 8 Officiers et, en 1954, son effectif approchait les 300 personnes.

- Le second groupement, bras armé du S.D.E.C.E., était le Groupement de Commandos Mixtes Aéroportés (G.C.M.A.) (3). Il était chargé de la préparation, de l'organisation et de la mise en œuvre des opérations de guérilla, de sabotage, et des filières d'évasion sur l'ensemble du territoire d'Indochine. Son action était prévue particulièrement au Tonkin (Zone côtière, Zone Autonome du Nord Ouest : Z.A.N.O.), en Cochinchine et au Cambodge dans la région des plantations. Le GCMA possédait six "Antennes" en Indochine, auxquelles étaient rattachées des "Centaines" (au total 22, et notamment 9 dans le Nord Vietnam). Il comptait au départ 52 Officiers, 100 Sous-officiers, 136 Hommes de troupes (pour l'encadrement européen) mais cela ne fut qu'un effectif théorique. Son crédit en supplétifs, lui, était de 2 200 hommes. A toutes fins utiles, le GCMA pouvait disposer de forces d'appoint, à savoir d'une part, les Sections Opérationnelles Aéroportées (S.O.A. Nord et Sud), deux sections sous les ordres du Lieutenant-Colonel Commandant le GCMA mais appartenant aux T.A.P.I. ; d'autre part le 8ème Groupement de Commandos Parachutistes (8ème GCP) qui, lui, pouvait agir tout aussi bien dans le cadre du GCMA, que dans celui d'un Groupement Opérationnel. L'utilisation de ces forces au profit de la Section Action du SDECE en Indochine, provoqua bien des "grincements de dents" (comme le signale le Lieutenant-Colonel Grall Commandant des S.O.A. et du G.C.M.A., dans un rapport de 1952). Cette section Action eut deux appellations durant le conflit indochinois : le G.C.M.A. puis le G.M.I. (4) (Groupement Mixte d'Intervention) quand il fut nécessaire d'organiser cette section en question sous la forme d'une unité formant corps. Avant cela il existait tout de même une section Action dite Section "49" (5), créée par le Général d'Armée, Haut-Commissaire de France en Indochine et Commandant en Chef, Jean de Lattre de Tassigny.

Cette appellation chiffrée demeura et c'est ainsi qu'on la retrouve fin 1953 dans la réorganisation du S.D.E.C.E. en Indochine qui constituait alors la "Base 40".

LA BASE 40

C'est donc ainsi que l'ensemble de la représentation régionale du S.D.E.C.E. se dénommait. La Direction, installée à Saigon, avait à sa tête un directeur qui, selon les cas, recevait les titres de :

- "Directeur Délégué de la Direction Générale du S.D.E.C.E.", pour toutes les affaires techniques relevant des services spéciaux.
- "Chef de la Base 40", pour toutes les affaires administratives relevant des services spéciaux.
- "Chef de la 5ème Section de l'E.M.I.F.T." (Etat-Major Interarmées des Forces Terrestres), pour toutes les affaires administratives relevant de l'armée.

Cette "Base 40" comprenait des sections correspondant à différentes branches d'activités.

- une Section de Commandement, "Section 41", comprenant entre autres:
1) une sous-section de liaison avec l'E.M.G.V.N. (Etat-Major Général du Viet Nam), la "Section 41.1".
2) une sous-section de liaison avec les étrangers, "Section 41.2".

- une Section de Diffusion dite "Section 42".

- une Section de Contre-Espionnage chargée des S.R. étrangers, "Section 43". Cette Section dite C.E. avait sous sa coupe le Détachement Opérationnel de Protection (D.O.P.). Elle était chargée : de la centralisation des renseignements et documents sur les services spéciaux rebelles et les divers groupements communistes, de la détection et de la neutralisation de leurs activités. Le C.E. offensif et répressif sur les rebelles entrait donc dans ses attributions.

- une Section de Recherche sur les pays étrangers, "Section 45" dite S.R.

- une Section chargée des Transmissions et des services Techniques (reproductions, photo, etc.), "Section 46".

- une Section chargée du décryptement, anciennement dénommée S.T.R., "Section 48".

- une Section chargée de l'Action, "Section 49", en tant qu'organisme du S.D.E.C.E. et dénommé G.C.M.À. en tant qu'unité des T.A.P.I. (6), puis G.M.I. à partir de 1953 pour d'obscures raisons d'intendance. En devenant GMI, le groupement perdit sa qualification "aéroportée" et ainsi, non seulement le personnel ne bénéficia plus de l'ISA (Indemnité sur les Services Aériens : la solde à l'air), mais encore, le groupement ne put se prévaloir de son appartenance aux TAPI pour recevoir des crédits de la part de cet organisme. Le Colonel Chavatte, adjoint au Général Commandant les TAP de métropole (en mission d'inspection en Indochine) dans son rapport fait à Hanoï le 22 Octobre 1953, critiqua si vivement le GCMA que moins de deux mois plus tard (le 1er décembre) le groupement devint GMI : "l'appartenance au GCMA ne requiert pas l'appartenance parallèle aux TAP - le brevet de parachutiste n'a plus de valeur pour ses membres que le permis de conduire automobile" (sic).

Voici donc mis à plat les différentes activités des services spéciaux. Regardons maintenant ce que représentait particulièrement la section Action, et tachons de cerner son domaine d'activité en détail. Car il est indéniable que le terme même de l'Action ne pouvait recouvrir le même sens ici ou là, en Europe ou en Territoire d'Outre-mer.

L'ACTION

Les notions généralement répandues sur l'Action, sont confuses. "Même ceux qui étaient chargés, en Indochine, de la conduire manquaient parfois d'éclaircissement à son sujet" (Roger Trinquier). Il convient donc, ici, de dégager quelques idées, de les replacer dans le contexte Indochinois.

Le terme Action est vague. Il s'applique à un domaine si vaste, il peut englober des activités différentes qu'il est bien difficile d'en donner une simple définition.

L'Action est d'abord une forme de combat. Elle ne vise pas le renseignement : elle se sert du renseignement; celui-ci est indispensable et, dans certains cas, l'Action peut être appelée à avoir son propre service de recherche.

Elle vise la destruction du potentiel ennemi là où les moyens classiques ne peuvent pas, pour une raison ou une autre, l'atteindre. Un bombardement n'est pas toujours possible. Et s'il a lieu, il peut fort bien manquer son objectif et en revanche causer d'énormes dégâts matériels et humains. Une équipe Action remplit la mission mieux et à moindre prix.

L'Action ne s'assimile pas pour autant au "Commando". Celui-ci, pour des motifs analogues d'efficacité et d'économie, tend également à la destruction. Mais ses caractéristiques essentielles (surprise, choc et rapidité) sont celle du "coup de main". Lancé d'une base amie pour revenir à une base semblable, il suppose un va-et-vient immédiat. Sa mission est limitée dans le temps et dans l'espace; elle ne déborde pas le cadre d'un acte de guerre pur, essentiellement localisé. Même sur le plan strict de guerre, il en est tout autrement pour l'Action. En effet, elle ne se sépare pas de tout un contexte; elle s'accompagne de mille problèmes insolubles avant la mission, sans liens apparents avec l'objectif final, et pourtant essentiels.

Il s'agit pour l'agent ou l'équipe abandonnés à eux mêmes, de subsister, de remonter la chaîne qui va les conduire au but, sans éveiller l'attention; souvent de monter cette chaîne de toutes pièces.

La technique et le courage gardent leur valeur, mais ne suffisent plus. Au bout de la route demeure toujours l'acte de combat : mais il faut, avant, parcourir cette route et c'est bien le plus difficile.

Plus encore, l'Action se singularise quand elle doit s'enfoncer dans des domaines extra-militaires. Même raison d'être : toujours une destruction de potentiel. Mais ce potentiel peut être moral, psychologique, politique. Tous les terrains sont bons où l'ennemi se trouve en défaut.

Il faut alors mettre en œuvre des personnes interposées : faire naître des mouvements, monter des maquis, étendre des réseaux en s'appuyant généralement sur un idéal ou, au moins, des idées. De rien, il s'agit de tout faire - ou presque -, saisir au vol les occasions, avancer fermement sans certitudes, durer pour aboutir (7).

Apparaissent ici les qualités inhérentes à l'homme dont le « travail » est l'Action. Cet homme est plus qu'un militaire, sa marge de manœuvre est très étendue et ses qualités individuelles sollicitées à un point ultime. Il s'agit pour lui de saisir ce qui fait l'essence de sa personnalité et de la porter à un degré tel qu'il se sublime et devient pensée et action en mouvement. Ce qui fait la caractéristique du personnel destiné à l'Action est que seuls en font partie, "ceux qui pensent et voient par delà les cimes", tout en ayant le sens du concret (8).

En Indochine, l'Action avait déjà débuté avant la guerre révolutionnaire. Une première expérience avait eu lieu en 1945. Il s'agissait notamment de guérilla et de sabotage contre les japonais, de mise sur pied de bases pour de futures interventions aéroportées d'envergure. Et ces opérations avaient réussi dans les zones peuplées d'éléments favorables à la cause française (Laos), mais elles avaient échoué au contraire en pays Annamite devant l'effervescence et la xénophobie des habitants. De ces expériences, des leçons furent tirées et plus tard, il fallut encore modifier et revoir le problème de l'Action : le Viet-Minh avait changé, il fallait faire de même. Le V.M. faisait de l'Action depuis le début du conflit et avait enregistré des résultats. Le service Action (GCMA/GMI) emprunta les même méthodes et arriva à battre son adversaire sur son propre terrain, mais trop tard cependant pour renverser la situation - irrémédiable à partir de 1951/1952.

Le sort de la guerre n'incombait pas uniquement au service Action certes, mais néanmoins son influence fut remarquable. "La guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires"; quand Clemenceau à dit cela, il y a plus de 80 ans, il avait peut être raison, mais après 1945, les choses en étaient autrement; la guerre était devenue trop complexe pour être entendue (Verstehen) par les politiques seuls. Ainsi, dans le conflit Indochinois, il est impossible de faire l'impasse sur les problèmes politiques français de l'époque et donc sur la tergiversation dans l'énoncé des directives données aux militaires, pour expliquer les facteurs de la défaite (9). "II y a comme un mécanisme de la défaite. À partir des erreurs initiales, des fautes des gens et des services, elle se multiplie au carré - c'est la progression géométrique du désastre. C'est ce qui est arrivé en Indochine; en fait la fatalité à été provoquée." (Lucien Bodard ; in L'Humiliation)

LES MAQUIS

Afin de saisir au mieux ce que le service Action français a opéré en Indochine, voyons en détail un des maquis du Tonkin, des préparatifs et projets aux résultats et enseignements de celui-ci.

Le maquis "Colibri" s'implanta dans la région du massif de Long He et de la ville de Cotonh, dans un territoire peuplé essentiellement de Méos et de Thaïs; ces populations hostiles, pour des raisons ancestrales au V.M., représentaient le cadre idéal pour la mise en place de l'infrastructure politico-militaire d'un maquis (Cf. Annexe I).

Le chef de la Mission Maquis reçut dans les tout premiers jours de janvier 1953 les termes de sa mission par le commandement. A l'intérieur du triangle Tuan Giao/Son-La/Dien Bien Phu (Cf. Annexe 2), existait un habitat strictement Méo, qu'il importait de contacter et de travailler le plus rapidement possible, pour éviter son pourrissement par le V.M., soucieux de trouver dans ces régions d'accès difficiles, un refuge idéal pour leur Can-Bos (10) et leurs groupes de guérillas.

Dès le début de son installation, et en première urgence, le Chef d'Antenne devait s'efforcer d'orienter son Action sur les pays Méos du Long He, afin de coordonner ses efforts avec l'Antenne en cours d'action dans la région de Dien Bien Phu, et appelée à travailler ultérieurement dans le même sens sur le massif situé à l'Est de cette localité.

Avant son départ pour Na San, l'Officier désigné pour prendre le commandement de l'Antenne, prit connaissance, au bureau Documentation de la Représentation Régionale (R.R.) du Tonkin, des documents existants sur la région. Cette première étude lui permit de se faire une idée sur le pays et les gens avec lesquels il devait travailler.

Le rassemblement des moyens et l'instruction durèrent de janvier à avril 1953. Le recrutement s'effectua dans des conditions difficiles. En effet, à cette époque le Centre de Résistance (C.R.) de Na San était ceinturé par le V.M., leurs Can-Bos contrôlant la région. De plus, le moral des populations n'était pas très élevé. Malgré ces grosses difficultés, le chef de l'Antenne établit les contacts avec les chefs locaux. Et, au mois de mai, l'Antenne comprenait 50 hommes instruits et bien entraînés. L'instruction s'était faite sur place au cours des diverses patrouilles effectuées par les unités du C.R.. Par contre celle des radios et des chefs d'équipes fut faite à la Portion Centrale de la Représentation Régionale. Ces 50 hommes, formés en équipes, constituaient des Missions Spéciales de contact (M. S : ce terme signifiait aussi bien le groupement que les hommes y appartenant).

LA MISE EN PLACE DES M.S. (MISSIONS SPECIALES)

Entre avril et mai 1953, profitant des sorties des unités du C.R., les M.S. s'infiltrèrent à travers le dispositif Viet-Minh, et prirent des contacts nécessaires. Entre autres le chef local vint en liaison auprès du chef d'Antenne et l'informa de la possibilité d'armer immédiatement 150 hommes. Au début du mois de mai, dès le retour des premières M.S., le chef d'Antenne avait organisé sa zone. Un Sous-officier européen (un Sergent/Chef) fut prévu pour en prendre le commandement. Et, de la fin mai au mois de juin, la mise en place de la Zone Maquis se réalisa (11). La mise en place de l'armement, elle, se fit graduellement. Le 20 mai, profitant d'une opération sur Son La, le Sous-officier quitta Na San, P.C. de l'Antenne, avec mission de gagner Ban Cotonh; il disposait d'un commando de 40 hommes bien entraînés et d'un poste de radio. Le 22 au soir, il abandonna la colonne opérationnelle et se dirigea sur Ban Hom. Le 26 il atteignit Pa Lao. Au cours de sa progression, il intercepta une colonne de coolies V.M. recrutés de force. Il élimina l'escorte V.M., les gens ayant manifesté l'intention de le suivre, il les fit progresser derrière lui, à distance de quatre heures de marche. Ils constituèrent par la suite son commando Thaï. Arrivé dans la région Méo, les contacts établis par les M.S. se concrétisèrent et le 30 mai, les premières armes étaient parachutées.

Le commandant du C.R. de Na San, après avoir pris connaissance de la mission donnée au chef d'Antenne GCMA, ne lui cacha pas que cette mission lui avait paru impossible à remplir étant donné la situation du moment.

Six mois plus tard, le maquis "Colibri" avait pris solidement pied dans tout le massif du Long He. La réussite était due à plusieurs facteurs. Tout d'abord, à l'aide totale fournie par le commandant du C.R.; ensuite à la ténacité et à la clairvoyance du chef de la Mission Maquis (La Capitaine Hébert); et enfin, au raid audacieux exécuté dans des conditions délicates par un Sous-officier d'une rare Valeur (le Sergent/Chef Chatel).

Au 30 juin, le maquis en place comptait 250 Thaïs, 180 Méos, tous armés et encadrés. Dans sa phase d'extension, le maquis fut organisé en trois groupes ("Colibri", "Aiglon", et "Calamar") avec à la tête de chacun d'eux, un Sous-officier européen; l'ensemble étant sous l'autorité d'un Officier. Au 30 septembre 1953, l'effectif de "Colibri" était de 1250 hommes, celui de "Calamar" de 950, et celui de "Aiglon" de 200.

LA FIN DE L'ACTION ET DE L'INDOCHINE FRANÇAISE

Ainsi, avec relativement peu de moyens, toute une zone fut interdite au V.M. L'exemple seul du maquis "Colibri" démontra au commandement des F.T.N.V. (Forces Terrestres du Nord Vietnam) la remarquable efficacité ainsi que la rentabilité des G.C.M.A. Cette action avait permis de donner aux équipes, aux agents directs, un tremplin, une plate-forme. Les autres maquis d'Indochine donnèrent dans l'ensemble d'aussi bons résultats. Mais restait la question de leur fidélité, de leur attachement à la cause française. Elle importait doublement : pour le choix des Agents mais plus encore pour la pénétration du pays et les possibilités d'influence auprès des populations. Les régions de minorités, d'une façon générale, étaient favorables à la cause française, et souhaitaient sa présence. Pour elles, c'était un élément de protection face au V.M. Mais en ce qui concernait les pays Annamites (centre Vietnam) ou certaines régions occupées par le V.M., l'Action devait plus s'identifier au commando. Cependant, même en zone hostile, se trouvaient toujours des éléments d'opposition (catholiques et sectes religieuses telles les Hoa Hao ou encore les Caodaïstes), ce qui n'excluait pas la possibilité de traiter ces régions, en travaillant les mécontents. Et c'est ce qui fut entrepris jusqu'à la limite des moyens et des ordres.

Il ne s'agissait pas, en Indochine, d'appliquer une doctrine Action mise sur pied en Europe pendant la seconde guerre mondiale. L'Action devait se mouler au pays, s'adapter à chaque région, aux différentes populations, emprunter les formes les plus diverses; ce qui fut entrepris.

Le V.M. faisait preuve d'une imagination extraordinaire dans la recherche et l'exploitation des points faibles français (12) et les services spéciaux furent en mesure de trouver les parades appropriées en adoptant une structure correspondante et efficiente de ses sections, et dans les types d'actions engagées par elles.

Après la fin du réduit central de Dien Bien Phu et de la conférence de Genève (7 mai - 20 juillet 1954), la politique française changea et les ordres destinés au Commandement Général indiquèrent clairement le désengagement total des forces et donc des services spéciaux, ce qui fut souvent dramatique(13). Le "cessez-le-feu" advint le 11 août 1954, après 9 ans d'un conflit tragique qui forgea malgré tout l'âme de l'armée française.


NOTES :

(*) Nous n'aborderons pas ici différents organismes, bien que classés dans les services spéciaux, tels la Direction des Services Français de Sécurité, la Section des Etudes Historiques (ou 6ème Section de l'EMIFT), le Service de Sécurité Militaire (SSM), le Service de Protection du Corps Expéditionnaire (SPCE), des services spéciaux donc, nais ne relevant pas toutefois du SDECE. Néanmoins ces différents organistes travaillèrent ensemble, notamment dans le cadre des Détachements Opérationnels de Protection (D.O.P.).
(1) Protocole n° 159 du 25 Février 1947.
(2) Le texte réglant l'organisation et le fonctionnement du G.C.R., est une décision de la Présidence du Gouvernement provisoire de la République Française du 15 Mars 1945.
(3) Crée par Note de Service n' 999/EMIFT/I non datée; 1952.
(4) Crée par Note de Service n' 3228/EMIFT/13394 du 2 Décembre 1953.
(5) Crée par Décision n' 174/CAB.MIL/E.D. du 7 Avril 1951.
(6) Pour la couverture de l'Action.
(7) Nous pourrions donner l'exemple de l'odyssée des Sergents Bourdon et Baudouin; in Journal de marche ; Annexe 2. in Rapport d'activités du G.C.M.A. (4ème Trimestre 1952).
(8) Nous pouvons citer un tel homme : le Sergent/Chef Chatel du GCMA qui à lui seul leva une année de plus de 1000 partisans dans le naquis "Colibri".
(9) Des faits regrettables viennent entacher d'avantage le conflit : la concussion et le trafic des piastres.
(10) Can-Bo : Commissaire politique du V.M.
(11) Pour différencier un maquis en activité d'un futur maquis, le terme de Mission Maquis était employé durant toute la phase précédant l'implantation d'armes; une fois celle-ci effectuée, elle prenait l'appellation de Zone Maquis.
(12) Grâce notamment à l'action de l'entreprise "Van" (Le service d'action psychologique Viet-Minh).
(13) De nombreux maquis furent désarmés par les français et laissés à la fureur rouge; d'autres furent purement et simplement oubliés du jour au lendemain (fin des parachutages de ravitaillement en armes et en munitions) donc sans possibilité de résister longtemps face à la marée V.M.


Notices et Bibliographie

Cette article a pu être réalisé grâce au concours du S.H.A.T. (Service Historique de l'Armée de Terre française; Fort de Vincennes - aujourd'hui S.H.D.) dont les archives sur l'Indochine ont été consultées méthodiquement par l'auteur. Références des cotes : 10H1631, 1869, 985, 986, 1094, 1624.

Il n'existe pas d'ouvrage sur les services spéciaux français en Indochine, mais on peut tout de même trouver quelques récits et témoignages tels :

- Les Maquis d'Indochine. Colonel R. Trinquier. SPL. Ligugé, 1976.Un livre essentiel sur l'Action en Indochine, par le spécialiste incontesté de la guerre moderne (révolutionnaire) et de la subversion.
- Chemins sans croix. Déodat de Puy Montbrun. Presse de la cité. Paris, 1964.Un récit qui retrace le périple d'un Capitaine en Indochine ; s’il participa à des actions avec le GCMA, il fut avant tout un officier d’Etat-Major et non un réel homme de terrain.
- Le 11ème Choc. Erwan Bergot. Presse de la Cité. Paris, 1986.Les premiers chapitres de ce livre sont consacrés au GCMA/GMI; il n'en demeure pas moins que c'est un livre très succinct sur la structure et l'organisation des services spéciaux.


Carte générale de l'Indochine :

































Annexe 1 :






















Annexe 2 :




24 février 2009

Entretien avec...Le colonel français Jean Sassi, spécialiste de la guérilla

Paru dans RMS (Revue Militaire Suisse), n°5, Mai 1995, pp. 16-22.

Le colonel Sassi a accepté de nous expliquer ses expériences d'homme de terrain spécialiste de la guérilla: engagé pendant la Seconde Guerre mondiale en Europe dans le Special Operation Executive (SOE), il sert ensuite dans le Service Action français et combat les Japonais dans la jungle laotienne. Au début des années 1950, il devient chef de commandos au célèbre 11ème Choc, avant de travailler comme chef de maquis en Indochine, entre 1953 et 1955. Après diverses autres affectations, il quitte l'armée en 1971.

RMS: Au cours de votre longue carrière, vous avez pratiqué la guérilla. Y aviez-vous été préparé? Peut-on l'être vraiment?

Jean Sassi : J'ai fait la campagne de 1939-1940; avec mon unité, j'ai reflué de Charleville jusqu'à la Loire. Là, nous avons subi plusieurs dizaines d'attaques aériennes allemandes. Je restais persuadé que nous aurions pu arrêter l'invasion si nous avions disposé d'un millier de parachutistes qui seraient intervenus dans les espaces qui séparaient le gros des forces de la Wehrmacht et leurs avant-gardes. Celles-ci, qui ne recevaient ni carburant ni ravitaillement de leur organisation logistique, continuaient malgré tout d'avancer, parce qu'elles trouvaient tout ce qu'il leur fallait dans nos dépôts. J'imaginais à l'époque que quelques milliers de soldats français bien entraînés à la guérilla auraient pu stopper et détruire les unités avancées allemandes qui déboulaient sans disposer d'un véritable soutien. Personne n'y avait pensé; c'était pourtant à la portée de nos fusils-mitrailleurs et même de nos revolvers.

La guérilla s'apprend, mais l'essentiel est de vouloir se battre de cette façon-là. Il faut la foi, l'habitude de survivre, du courage, de la hargne, de l'obstination et de la générosité. Il faut s'entraîner, pas tellement pour développer ces qualités, mais surtout pour les faire durer. On croit au début que tout est simple... Je sais aujourd'hui que pour faire un bon guérilleros, il faut des qualités, mais pas des «qualités d'assassin».

Les Occidentaux ne sont pas des barbares qui utilisent n'importe quels moyens. Je pourrais affirmer que les hommes qui mènent la guérilla sont des chevaliers, réveillés un beau matin par de durs problèmes et qui cherchent, quoi qu'il arrive, à rester des chevaliers. La guérilla, pour nous, est à base d'idéal. Nous n'avions aucun intérêt matériel à faire de la guérilla. Il n'y a pas d'argent et jamais de confort. Au contraire, car on est toujours oublié par ses supérieurs, et personne ne saura que vous êtes courageux. Les décorations, on les donne surtout dans les états-majors. Ce qu'il faut savoir de la guérilla, c'est que vous êtes seul et que personne ne vous donne des ordres; il faut tout créer soi-même.

Tout est foncièrement différent lorsque l'on se trouve incorporé, par exemple dans les parachutistes. Dans ces formations, l'enthousiasme, une certaine euphorie règnent, parce qu'on est ensemble ! Le parachutiste se sait protégé, surveillé; il est heureux de se battre parce qu'il le fait devant ses copains, sûr d'être toujours aidé par les officiers, les sous-officiers et les camarades. Il sait qu'il ne mourra pas sans laisser de traces et de souvenirs. Vu la présence des copains et des supérieurs qui le jugent, il ne se permet pas de pleurer, de crier, de se laisser aller.

En revanche, un homme de la guérilla, qui reste un solitaire et un inconnu, peut le faire. Son action reste toujours éphémère. Personne ne saura pourquoi ou comment il est mort: rien de plus triste pour un soldat que de mourir dans l'anonymat. Pour le guérilleros, l'ennemi, ce n'est pas seulement celui qui pointe une arme contre lui, c'est l'animal féroce, la sangsue, les moustiques, également le pauvre bougre du coin qui a peur et qui peut le blesser avec une arme de fortune.

Nous étions une fois, trois officiers parachutistes largués pour monter des maquis, faire du sabotage, du renseignement, pour instruire les populations, les administrer. En fait, nous étions seuls; l'équipe avait beau comprendre trois personnes, mais vingt-quatre heures sur vingt-quatre, nous étions seuls.

RM S: A quoi sert la guérilla?

Jean Sassi : Grâce à la guérilla, on fait en sorte que, tôt ou tard, on puisse occuper le terrain. Au départ, elle est souterraine; on agit clandestinement jusqu'au jour où on peut apparaître officiellement, avec ou sans uniforme, pour combattre un ennemi qui, lui, se trouve en uniforme. Il s'agit de l'anéantir ou de le bouter hors du territoire. Dans la guérilla, le combat vise à l'anéantissement, il n'y a pas de prisonniers... Dans nos centres de formations, on ne parlait jamais de prisonniers, car nos instructeurs estimaient que nous étions assez grands pour savoir ce que nous devions faire des prisonniers. Il faut admettre certaines choses quand on est guérilleros.

Beaucoup d'individus ne sont pas faits pour ce genre de guerre qui exige que l'on se batte sans grands moyens, malgré des risques graves qui restent toujours inconnus: il leur faut la discipline, les ordres, l'uniforme. Ils ne se sentent pas assez forts seuls.

RMS: Dans quelle mesure la guérilla doit-elle être menée par des «spéciaux» et non par des militaires «réguliers»?

Jean Sassi : II faut d'abord que des militaires acceptent ce genre de mission, c'est un préalable, mais un cadre n'est pas forcément fait pour la guérilla. Il peut sortir d'écoles où on lui a appris beaucoup de choses, encore faut-il qu'il ait les qualités adéquates. Ce que vous appelez les «spéciaux», ce sont en fait des militaires qui ont été sélectionnés parce qu'ils aiment le travail en solitaire, qu'ils savent survivre avec ce dont ils disposent sur place et prendre des initiatives. Ce sont des hommes qui n'accordent d'importance qu'à ce qui peut leur être utile dans le cadre de la guérilla. Il ne faut pas faire trop de distinctions entre «spéciaux» et militaires.

RMS: Lors de la Seconde Guerre mondiale, vous faisiez partie des Jedburghs. Etait-ce une formation convenable à la guérilla?

Jean Sassi : La guérilla ne s'apprend pas. C'est un ensemble d'événements qui se succèdent ou se cumulent et qui posent des problèmes qu'il faut résoudre. Chez les Jedburgh, nous avons été formés très durement pendant quatre mois, mais uniquement dans la spécialisation qui permet de se satisfaire de ses connaissances, des notions absolument nécessaires qu'on n'apprend nulle part ailleurs. Par exemple, manier des populations, les guider, faire du sabotage, manier les explosifs, les différentes armes, s'orienter de manière non conventionnelle, de jour comme de nuit.

Les instructeurs mettent à disposition ce dont on a besoin pour une mission. En fin de formation, ils nous ont conduits dans un immense hangar, une véritable caverne d'Ali Baba qui contenait tous les matériels et les armes imaginables. Avant le départ pour la mission qui couronnait notre école, sachant très bien que nous ne pouvions tout emporter, ils nous ont laissés choisir tout ce que nous pensions nécessaire. Une fois le choix effectué, nous recevions un sac à dos dans lequel se trouvait déjà un poste de radio. On le remplissait tant bien que mal avec ce que nous avions choisi. On nous avertissait alors que partirions à pied. Au bout de cinq kilomètres, la plupart ne pouvaient plus avancer. Les instructeurs nous arrêtaient et nous disaient: «Maintenant, faites un tri, car vous avez encore des kilomètres à faire...» Peu à peu, on liquidait presque tout.

A cours de notre formation Jedburgh, nous n'avons pas abordé tous les aspects de la guérilla; nous ne recevions qu'une formation de base.

RMS: Vous êtes passé par les écoles britanniques; qu'est-ce que l'armée britannique avait de plus que l'armée française?

Jean Sassi : En Indochine, nous n'avons pas créé d'écoles de guérilla comme il en existait aux Indes, pour la bonne raison que notre armée d'Indochine se trouvait sous le joug japonais. Pourtant, les Britanniques ont exploité leur longue expérience qui remonte aux guerres contre Napoléon Ier. La guérilla cherche à affaiblir l'ennemi, à le neutraliser par n'importe quels moyens, compte tenu des limites propres aux Occidentaux; elle consiste à trouver le procédé de combat, même le plus élémentaire, qui n'est pas utilisé par l'ennemi.

RMS: Dans ce type de guerre, les hommes comptent-ils plus que le matériel?

Jean Sassi : Le matériel sans les hommes ne vaut rien. Tenant compte de ma longue expérience, je peux dire que le matériel n'est jamais l'essentiel. Bien sûr, pour la guérilla, du matériel statique est impensable, sauf dans une base arrière. Mais la question primordiale doit être posée différemment. En tant qu'objectifs, nos adversaires sont-ils plus importants que leurs matériels? On ne va pas envoyer des gens faire de la guérilla pour casser du matériel si celui-ci se remplace rapidement. En revanche, la destruction d'un PC, état-major compris, est une perte irrémédiable. Il vaut mieux supprimer le pilote que son avion.

Dans certains cas, la situation amènera à laisser l'homme de garde en vie et à empoisonner le tas de riz qu'il surveille, ce qui empêchera de nombreux ennemis de remplir leur mission. Si l'on se trouve en face de cent personnes et d'un fusil, il faut s'occuper de l'arme.

Les Allemands avaient compris ce principe pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils menaient d'une manière absolument permanente la chasse aux transmetteurs radio. Dans la mesure où ils neutralisaient un radio, c'était un nombre important de partisans qui n'étaient plus ravitaillés et armés, tandis que Londres ne recevait plus de renseignements.

Le partisan ne doit jamais se tromper dans le choix de ses objectifs. En France, pendant l'Occupation, nous avons dû stopper un grand nombre de FFI qui partaient avec des pains de plastic pour faire sauter n'importe quoi, par exemple, le transformateur qui assurait l'éclairage de leur village ou de leur groupe, un lampadaire, une route sans importance, un pont inutile pour les Allemands mais indispensable pour la résistance !

Ceux qui encadrent la guérilla doivent être sous les ordres directs d'un commandement du plus haut échelon; sauf cas exceptionnel, ils ne travaillent que pour lui, non pour les forces régulières amies qui se trouvent dans la région. Il ne faudrait pas que le haut commandement oublie d'activer les maquis comme il l'a fait avant, pendant et après Dien Bien Phu en Indochine. En revanche, on ne peut faire participer la guérilla à des opérations de grandes unités régulières; au minimum il faudrait leur donner des objectifs différents.

J'ai participé en Indochine à des opérations avec les militaires réguliers où l'on me demandait de fournir des coolies pour les transports de matériel. J'ai refusé, car, si on avait assimilé mes partisans à des coolies, il n'y aurait plus eu de partisans. Ceux-ci ne marchent que s'ils se savent respectés. On peut les faire combattre sans les payer, sans leur donner de galons supplémentaires ou de décorations, mais en aucun cas, il ne faudrait les prendre pour de la main-d'œuvre gratuite.

Parachutés au Laos, nous devions trouver des volontaires. Il fallait donc apparaître sous un jour favorable, avoir des armes, représenter quelque chose. Surtout, les autochtones devaient accepter notre venue, car on ne fait pas de guérilla si les gens du coin ne le veulent pas.

RMS: Une image a été utilisée pour symboliser la guérilla, celle du tigre qui vient à bout de l'éléphant en l'agressant sans cesse à coups de griffes, ce qui le fait saigner, l'affaiblit et, à terme, le fait mourir. Qu'en pensez-vous?

Jean Sassi : C'est une image, mais il me semble qu'une autre serait plus appropriée, celle du termite. Vous entrez dans une maison qui semble en bon état, mais qui s'écroule brusquement, car les termites ont fait leur travail. Par rapport aux coups de griffes du tigre, cela ne se voit pas ou alors il est trop tard.

Il y a quelque chose que je disais toujours à mes guérilleros et qu'il faut admettre: tuer l'ennemi quand il est en position de faiblesse. Le tuer lorsqu'il mange, qu'il dort, qu'il fait ses besoins, qu'il se lave ou qu'il fait l'amour, pas quand il tient une arme à la main. Un guérilleros est un capital précieux qu'il faut préserver le plus possible. On limite donc les risques et on s'attaque à l'ennemi quand il se trouve sans armes. Il n'y a pas de faible ou de fort dans une telle guerre: il y a celui qui détruit l'autre.

Les principes de la guérilla sont les mêmes partout, mais on se trouve toujours obligé d'appliquer et d'adapter ce que l'on sait. Parmi ces principes, il doit y avoir l'acceptation totale de la mission. En Indochine, je n'ai pas hésité à me faire arracher des dents pour ne pas avoir de problèmes sur place. J'en connais qui se sont fait enlever l'appendicite avant le départ...

Certains de mes camarades ont refusé de sauter en Extrême-Orient: ils n'avaient pas accepté dans sa totalité une telle mission. Pour eux, elle était suicidaire. D'autres avaient de bonnes raisons de ne pas y aller: l'un d'eux était père de huit enfants. Moi, j'étais célibataire, mais j'avais les mêmes appétits que les autres, j'avais des parents que j'adorais, des amis, mais j'acceptais les risques d'une telle mission.

RMS: Pensez-vous que l'armée française a su tirer profit des possibilités de la guérilla?

Jean Sassi : Malheureusement non. Dès 1944, ceux qui avaient accepté de faire de la guérilla, les partisans, les FFI ont été incorporés dans des unités régulières, puis, du jour au lendemain, on leur a dit qu'on n'avait plus besoin d'eux et qu'ils devaient rentrer à la maison. En ce qui me concerne, j'ai été nommé instructeur radio à Saint-Maixent après mon séjour en Indochine, bien que j'aie fait des pieds et des mains pour être affecté au 11ème Choc, alors que la guerre d'Algérie commençait.

Dans ce conflit, on a bien essayé de monter des maquis, mais c'étaient des tentatives venues de la base qui n'ont pas marché, pour qu'une guerre de partisans ait des résultats, il faut que le commandement l'accepte, la pense et soit pénétré de son importance. S'il ne considère pas la guérilla au même titre que l'armée régulière, il ferait mieux de ne pas se lancer dans ce genre de guerre.

Notre commandement n'a pas pensé suffisamment la guérilla; ce n'était pas une spécialité «honorable», dans le sens où il n'y avait pas de galons, pas de décorations, pas de primes à gagner. Le renseignement et l'action ont toujours été les parents pauvres dans notre pays. Effectivement, il y a danger quand on donne trop de pouvoirs à de tels services. Ceux qui en font partie, plus agressifs et résolus que les autres inquiètent...

RMS: Au vu de vos expériences, quel devrait être l'importance de la guérilla dans l'enseignement militaire actuel?

Jean Sassi : On doit en parler, car c'est une forme de guerre tout à fait actuelle. En France, ce ne semble pas être le cas; on a réservé cette instruction à certaines écoles spécialisées de Renseignement-Action et du 11ème Choc, ce qui m'apparaît insuffisant. La guérilla devrait être reconnue comme un moyen tout à fait honorable par ceux qui sortent de Saint-Cyr ou de Polytechnique, bref par tous ceux qui font carrière dans l'armée. Elle ne devrait pas être considérée comme le domaine réservé de spécialistes dont on se méfie. Aux Etats-Unis, les Bérets verts, les Forces spéciales sont mieux reconnues que chez nous.

Propos recueillis par Philippe Raggi.

Compte-rendu de l'Opération "D" par le Capitaine Sassi

G.M.I.
R.R.L.
G.C. 200
======
N°126/CR
Ex : n°3/3


COMPTE RENDU D’OPERATION
========================
OPERATION « D »
---------------



I. - SITUATION GENERALE -

L’Opération « D » fut décidée par le Haut Commandement dans les derniers jours d’Avril, en raison de la situation critique créée à DIEN BIEN PHU par les assauts répétés des unités rebelles.


II. - MISSION -

Transporter le Groupement MALO fort de près de 800 armes
- dans un premier temps sur PA PET pour opérer la jonction avec les éléments de SERVAN et de RODEUR participant à l’opération.
- dans un deuxième temps, porter l’ensemble MALO-SERVAN-RODEUR à MUONG PEU, afin de créer une base de départ pour des actions spéciales de diversion, sur les arrières des divisions rebelles accrochées à DIEN BIEN PHU.


III. - MOYENS -

A- Effectif
Groupement MALO – 3 sous groupements :


I- Sous groupement « A » : sous les ordres du Lt MESNIER
G.C. 201 – Lt MESNIER – St MAGNET – 110 hommes,
PHOU DOU – St LASSERRE – 97 hommes,
Eclairage – St ORSINI – 20 hommes,
Total : 1 officier – 3 Européens – 227 hommes
1 SCR 694
1 SCR 300
1 Mortier de 60.

2- Sous groupement “B” : sous cdt Lt VANG PAO
Cdo N°4 – Lt VANG PAO – 100 hommes,
PA PONG – St SENARD – 97 hommes,
THALINOI – St GUELLEC – 94 hommes,
NAM MO – St PARIS – 37 hommes
Total : 1 officier – 3 Européens – 328 hommes
1 SCR 694
1 SCR 300

3- Sous groupement « C » : sous les ordres du ST MARCELLIN
NORD NAM KHAN – St MARCELLIN – 200 hommes
1 SCR 694
1 SCR 300
P.C. Groupement :
Capitaine SASSI Commandant l’Opération “D”
Adjudant DECKEUR
Sergent LEGUEUX
Sergent LEBLOND
1 interprète – 2 Cdos

Effectif total du Groupement,
1 Capitaine
2 Lieutenants
10 Sous officiers
755 Autochtones
+ 700 partisans des maquis « SERVAN et RODEUR ».


IV. - INTENTION -

Faire progresser successivement à 24 heures d’intervalle les 2 sous groupements « A » et « B ».

Dans un premier temps du P.C. de Khang Khay à BAN PITON en les appuyant sur le système de sécurité renforcé, implanté dans les maquis de Phou Dou et du Nord Nam Khan.

Dans un 2ème temps, éclairé par le sous groupement « C » et gardé dans toutes les directions par le système de sécurité demandé au maquis SERVAN, porter la totalité du groupement MALO à MG KHOUT, puis à PA PET, lieu de rassemblement MALO-SERVAN-RODEUR.

Ordre formel est donné à tout élément d’éviter l’accrochage jusqu’à PAPET.


V. - DEROULEMENT de L’OPERATION -

Le rassemblement des éléments MALO fixé à Khang Khay pour les sous groupements « A » et « B », et à Ban Piton pour « C », ordonné le 30 avril dans l’après-midi est terminé les 4 Mai au soir. A partir du 5 Mai, l’ordre de base de l’opération « D » est scrupuleusement appliqué et, le 10 Mai, les 3 sous groupements sont rassemblés à Ban Piton comme prévu.

L’avant-garde est à HOUEI KINE – le système de sécurité a parfaitement fonctionné ainsi que les liaisons radios avec la base arrière – toutes les demandes de parachutage ont été satisfaites à la lettre et en temps opportun. Le 10 Mai, l’Eclairage de MALO est en place à BAN NA POUNG et attend les premiers éléments de SERVAN.

Le 11 à l’aube, « C » part sur Ban Na Poung.

Le 11 Mai dans la matinée le groupement MALO reçoit l’ordre de stopper toute progression et de renter sans délai sur ses bases.

DIEN BIEN PHU était tombé le 7 au soir.

Le retour s’effectue à partir du 11 Mai sans incidents majeur jusqu’à Khang Khay, où « A » et « B » arrivent le 15 au matin.
L’éclatement du Groupement Opérationnel est chose faite le 16.


V. - ENSEIGNEMENT à TIRER -

Il me faut souligner la magnifique tenue de l’ensemble des partisans dont le moral et l’effectif sont restés intacts du départ à l’arrivée, grâce à la qualité de l’encadrement sous officier qui, tout au long de 10 jours de marche, se pencha avec compétence, doigté et autorité sur tous les problèmes nuisibles à la bonne exécution de la mission.

Le partisan peu habitué aux efforts soutenus, aux déplacements collectifs dans une région qui n’est pas la sienne est handicapé dans ce genre d’opération à longue échéance par le manque d’équipement adéquat. Pour parer à ce manque d’équipement, le partisan – qui a quand même des besoins en dehors de ses armes et unités de feux – se charge d’un attirail hétéroclite, primitif, difficile à arrimer judicieusement mais qu’il est bien obligé de répartir sur son dos, autour du cou et dans les deux mains.

Ces charges invraisemblables mais pourtant de première nécessité le déséquilibrent, le blessent et le fatiguent outre mesure aussi bien physiquement que moralement.

L’effort imposé n’a été obtenu que parce que la mission était de taille et de celles qui ne se refusent pas.

Mais si dans l’avenir, le Commandement voulait à nouveau obtenir du partisan qu’il sorte de son cadre, de ses coutumes, de sa région et de son mode de combat, il se doit de distribuer dès maintenant l’équipement minimum indispensable suivant : ceinturon, cartouchières, portes chargeurs, bretelles d’armes, musette, sac TAP, bidon, gamelle, chapeau, chaussures de brousse, toile de tente...

Sur le plan opérationnel, la progression d’une colonne de 800 partisans ne peut se faire que dans un dispositif largement éclairé, dans un couloir de sécurité existant ou créé progressivement, et son action ne peut être envisagée dans un pays inconnu, qu’à partir d’une ou plusieurs bases fixes, temporaires mais solidement gardées pour permettre le ravitaillement et le recueil de ses éléments de missions.

Le moral des partisans doit être tâté au jour le jour et entretenu par une distribution de moyens de toutes sortes, sans craindre un dépassement des normes, surtout en ce qui concerne la nourriture et les médicaments. Cela est aussi valable pour toutes les populations contactées.

Par ailleurs, la mission fut de trop courte durée pour qu’on puisse en tirer des enseignements de valeur rigide.

Quoi qu’il en soit, le couloir de sécurité ayant été créé indiscutablement de Khang Khay à Muong Peu, et le moral des partisans s’étant avéré solide, on peut affirmer que seule l’évolution de la situation n’a pas permis d’exploiter entièrement ces conditions dont dépendait la mission et qui laissaient prévoir une mise en place rapide des Groupements MALO-SERVAN-RODEUR à proximité immédiate de l’objectif.


S.P. 76.418 le 6 juin 1954
Le Capitaine SASSI Jean
Commandant le Groupement MALO

-signature Sassi-


Destinataires :
Colonel Cdt le GMI – n°1/3
CNE Cdt la RRL – n°2/3
CNE Cdt le GC200 – n°3/3.


Ci-dessous : croquis de la main du Colonel Sassi, représentant la manoeuvre lors de l'opération "D".





















NOTE SUR L'ORGANISATION DU S.A. avant Mars 1945.

I) ORGANISATION INTERIEURE

a) Kandy (Ceylan). Un PC et un Etat-Major à trois bureaux:

* Personnel, Administration, Sécurité.
* Entraînement, Opérations paramilitaires, Transmission.
* Guerre Psychologique.

b) Poona (100 km de Bombay). Une section d1entraînement.

c) Calcutta. Un PC avancé dirigeant:

* Une section Transmission.
* Une section Chiffre.
* Une section Opération Aérienne sur l'Indochine.

d) Australie. Une section d'opération contre la navigation japonaise du Pacifique.

II) RELATION AVEC LA FORCE 136

a) Le S.A. est une organisation française coopérant avec la F136 mais ne lui appartenant pas.

b) La coopération entre FI36 et le S.A. est assurée:

* à Kandy: par la FICS qui est une section de liaison de F136 HQ à travers laquelle sont adressées à F136 toutes les affaires intéressant en commun F136 et SA. Le chef de cette section est le Lieutenant-Colonel de Crèvecœur.
* à Calcutta: par des officiers du PC avancé, nominativement désignés par le chef du SA comme officiers de liaison auprès de F136 Group "A".


OGANISATION DES DIFFERENTES ECOLES D'ENTRAINEMENT (Aux Indes)

Tous ces centres d'entraînement sont sous le contrôle de "O.T. Branch" (Operation and Training) :

(a) Ecole de Guerre Orientale (indes)
* Elimination
* Entraînement para-militaire
* Entraînement (Radio s/Branches)

(b) Etablissement Militaire 25 (Military Establishment 25) à Ceylan:
* Entraînement para-militaire
* Entraînement radio
* Entraînement de départ par S/Marin.

(c) Ecole d'Interprètes Orientaux (Calcutta)
* Entraînement d'agents et Propagande

(d) Etablissement Militaire 9 (M.E. 9) à Meerut
* Entraînement radio: Polissage (Branche TSF)

(e) Syndicat "F" à Chaklala
* Entraînement de parachutistes

NOTES SUR LES SERVICES FRANÇAIS (1940-1945)

Courant Juillet 1940, un CNE du Génie, André Dewavrin, se voit confier sur les directives de 1'Etat-major londonien du Général de Gaulle, le B.C.R.A. (Bureau Central de Renseignement et d'Action). Ce service est autonome bien que coopérant avec le M.I.6; c'est d'ailleurs de ce dernier que Dewavrin tire expérience en la matière. Dewavrin "Passy", prend deux adjoints avec lui: Maurice Duclos dit "St Jacques", et Pierre Fourcaud dit "Barbès".

Arrive le débarquement en Afrique du Nord, en Novembre 1942. Moins d'un an plus tard, le Gouvernement Provisoire de la République Française s'installe à Alger.

Fin Septembre 1943, une "fusion" des services de Londres et de ceux de Vichy repliés en Afrique du Nord dirigés par le Général Ronin, s'opère sous l'égide d'un civil, Jacques Soustelle; ce nouvel organisme prend le nom de Service de Renseignement et d'Action (S.R.A.) puis de Direction Générale des Services Spéciaux (D.G.S.S.) à la fin Novembre. Dewavrin quitte la direction des services pour prendre celle des opérations en France occupée. Fin Août 1944, suite à la libération de Paris, les services s'installent avenue Kleber. Le 26 Novembre 1944, la DGSS devient la Direction Générale des Etudes et Recherches (D.G.E.R.) et s'établit boulevard Suchet. Le 19 Avril 1945, Soustelle est remplacé par Dewavrin "Passy" qui revient d'une mission en Indochine. Dewavrin reprend vigoureusement en main les services qui sombraient dans un manque de rigueur et de discipline.

Le 28 Décembre 1945, les services "repris" changent de dénomination et d'adresse. C'est ainsi que le Service de Documentation Extérieure et de Contre Espionnage (S.D.E.C.E.) s'installe boulevard Mortier. Mais le 21 Janvier 1946, le Général quitte le pouvoir. Moins d'un mois plus tard, le 26 Février, le nouveau président du conseil, Félix Gouin, nomme Henri Ribière à la place de Dewavrin. Ribière conserve néanmoins comme adjoint, celui de son prédécesseur, le Colonel Pierre Fourcaud. A la tête de la section "action", revenant d'Extrême-Orient où il dirigeait cette branche des services basée à Calcutta depuis le mois de Mars 1945, se trouve le Commandant Fille-Lambie dit "Morlane".

ELEMENTS PARTICULIERS SUR LA PERIODE 1943-1945 en INDOCHINE

En Mars 1943, le Commandant de Langlade est à Meerut (aux Indes), où il s'est vu confier la direction de la FICS (French Indochina Country Section) dans le cadre de la FORCE 136, organisation britannique dépendant du SOE (Special Operation Executive) et ayant la charge de l'action et du renseignement dans les territoires occupés par les japonais; cette FORCE 136 est dirigée par M. Mackenzie.

Le 8 Septembre 1943, le Général Blaizot est nommé chef de la Mission Militaire Française auprès du commandement du SEAC (South Eastern Asia Command) de l'Amiral Mountbatten, et Commandant des FEFEO (Force Expéditionnaire Française en Extrême-Orient).

Dans les tous premiers jours de Novembre 1943, le CLI (Corps Léger d'Intervention) voit le jour à Djidjelli en Algérie; il comporte des unités de commandos sous le commandement du Lieutenant-Colonel Huard, et qui sont destinées à renforcer les troupes françaises d'Indochine selon un plan qui sera établi par la résistance militaire intérieure incarnée par le GAL Mordant dit "Narcisse", venu de France en 1941.

Parallèlement, le Commandant de Crèvecœur arrive à Meerut le 10 Novembre, mandaté par le commandement français, pour remettre à Mackenzie le plan d'action français consistant principalement en l'introduction en Indochine du CLI, en conjugaison avec l'offensive alliée.

Pendant que cette question est mise à l'étude, les premiers militaires français sont envoyés à l'instruction à Poona (100 km de Bombay).

En Mars/Avril 1944, le Lieutenant-Colonel de Crèvecœur se rend en Chine en vue d'étudier les possibilités de la résistance indochinoise.

Le premier essai de parachutage a lieu au début de Mai sur la région de Lai Chau (Tonkin), mais sans succès pour des raisons météo.

Le 1er Juin, les effectifs français rattachés à la FICS sont groupés dans une unité administrative régulière formant corps: "Le Détachement Français des Indes".

Pendant la lune de Juin, d'autres essais de parachutages (infructueux pour des raisons météo) ont lieu dans la région de Moc Chau. Toutefois, un nouvel essai effectué le 6 Juillet, est couronné de succès; au cours de cette opération (Belief I), le Commandant de Langlade et le Commandant Millon sont parachutés dans la région de Lang Son. Le premier comme messager personnel du Général de Gaulle auprès du Général Mordant et de l'Amiral Decoux, Gouverneur Général de l'Indochine; le second, en vue de créer la première organisation subversive au Tonkin. Le 9 Juillet, ils sont en contact direct avec Calcutta.

A Alger, dans sa séance du 5 Août, le Comité de la Défense Nationale décide de la création d'un "service d'action basé aux Indes"; son chef est le Lieutenant-Colonel de Crèvecœur qui prend aussi le commandement de la FICS. Dans le même temps est créée, toujours aux Indes, la SLFEO (Section de Liaison Française en Extrême-Orient), dépendant de la DGSS. Son chef, le Colonel Léonard, délégué de la DGSS, assure la direction du S.R. et de la Sécurité Militaire pour l'Extrême-Orient, et la coordination des activités de ces services avec ceux du S.A. de Crèvecœur. A Paris, le responsable en est le Commandant Bouheret, sous les ordres de Dewavrin. En Octobre, le Général Blaizot détache de son PC installé à Alger, un PC avancé à Kandy sur l'île de Ceylan, auprès de 1'Etat-major du Lord Amiral Louis Mountbatten.

Le 15 Novembre, le Commadant de Langlade est récupéré par "pick up" (Opération Radical I). De la même manière, le 12 Décembre, le Lieutenant-Colonel Huard est récupéré (Opération Radical II) après une mission de prés d'un mois en collaboration avec la résistance intérieure du Général Mordant, durant laquelle a été élaboré le plan d'emploi des Forces Militaires en Indochine.

Le 22 Décembre, le Capitaine Leblanc est parachuté au Laos (Région Sud de Séno) pour préparer la guérilla au Moyen-Laos.

Le 23, le S.A. est rattaché à la DGER mais reste placé sous les ordres du Général Blaizot en ce qui concerne la préparation directe aux opérations militaires.

Durant le quatrième trimestre 1944, la FICS et les britanniques ont effectué sur l'ensemble de l'Indochine prés de 280 missions aériennes qui ont permis de larguer 75 Officiers et Sous-officiers ainsi que du matériel et des armes.

Le Lieutenant-Colonel de Crèvecœur, qui était à Meerut jusqu'au 6 Décembre, s'établit à Kandy aux premiers jours de Janvier 1945.

Les résultats des six premiers mois d'activité ont permis la création d'organisations autonomes (Rivière au Tonkin, Donjon dans le Haut et Moyen Laos, Médéric dans le Nord Annam, Pavie dans le Centre Annam, Legrand dans la Cochinchine et Mangin au Cambodge) coordonnées par le S.A. intérieur de Mordant.

La mission des équipes "action" parachutés au Laos, est de préparer l'arrivée des futures unités du CLI, en instruisant des troupes d'intervention et en organisant la guérilla générale, ceci en liaison avec les mouvements de la résistance au Laos. C'est ainsi qu'au cours de la lune de Janvier, 27 agents ont été parachutés, dont deux agents et trois comités de réception en jungle (Fabre vers Paksanne, Tuai vers Vang Vieng, Serres vers Xieng Khouang). Treize stations radios sont maintenant en contact régulier avec Calcutta, dont trois au Laos. Cependant en Février, pour ne pas éclairer les japonais sur l'intérêt porté au Laos, ce secteur est mis en sommeil; ce qui lui permet de "digérer" le matériel et le personnel très important qu'il a reçu. Les efforts du S.A. se portent principalement sur Rivière (Organisation du Delta tonkinois assez en retard sur les autres), Legrand et Mangin. A la lune de Février, trois conseillers d'organisations sont parachutés (le Capitaine Isnardon pour Rivière, le Commandant Imfeld pour Donjon et le CNE Desprez pour Médéric) ainsi que trois opérateurs radios.

Au 9 Mars, date du coup de force japonais contre les garnisons françaises d'Indochine, le chef du S.A. décide de s'installer personnellement à Calcutta en vue d'obtenir toute l'aide matérielle possible pour l'Indochine et de rester en liaison étroite tant avec le PC avancé du Général Blaizot (Lieutenant-Colonel Huard) qui s'est transporté à Calcutta, qu'avec la SLFEO actionnant pour le compte de la DGER le S.R. de Chine. Le Commandant Millon, chef du S.R. en Chine, prend ainsi également la direction d'une "aile" du S.A. afin d'agir sur la 14ème Air Force Américaine (Général Chennault) et sur l'O.S.S. (Office of Stratégie Service) pour que se matérialise rapidement l'aide américaine.

Au 15 Mars, les effectifs des forces de guérillas en Indochine s'élèvent à 1349 hommes (356 européens et 993 indigènes) dont 47 européens et 195 indigènes au Laos.

Le réseau radio clandestin revient peu à peu à la vie (milieu de Mars): une quinzaine de liaisons sont rétablies, mais de nombreux contacts sont perdus (Saigon, Hanoi, Hué, Vinh, Lang Son, Ban Me Thuot…). Des missions de renseignement sont confiées aux divers groupes d'action, en vue de préparer une reprise de contact avec les éléments se trouvant sur les plateaux Moi et pour permettre également de suivre l'évolution politique du pays sous l'occupation japonaise. D'autres groupes sont parachutés (Cortadella le 17 sur Dien Bien Phu, Dampierre le 22 sur Son La, Gasset le 23 dans la région de Paksanne) tant pour affermir le moral des troupes que pour permettre d'énergiques actions sur les arrières des colonnes japonaises.

Le 16 Avril, ordre est donné aux groupements de jungle de se consacrer essentiellement au renseignement pour le compte du SEAC et à la propagande pour le compte du gouvernement français.

Au 20 Avril, 93 personnels du S.A. sont en Indochine, et treize stations radios sont en liaisons avec Calcutta.

Suite à la fin de la guerre en Europe, une soixantaine de Jedburgh qui servaient dans les rangs du SOE et membres par là-même de la DGER, sont mis à la disposition de la FICS.

Fin Avril, le ColonelL Roos, ingénieur en aéronautique, remplace le Colonel Léonard à la tête de la SLFEO; il est secondé par le Commandant Jean Rosenthal. Le 1er Mai, le CLI devient 5ème RIC (pour éviter toute confusion avec le Ceylan Light Infantry) et deux de ses compagnies deviennent parachutées.

Le 5 Mai, le Commandant Fille-Lambie dit "Morlane" (venu de France où il avait organisé et commandé le réseau de résistance "Jean-Michel" en zone occupée) prend le poste de chef du S.A., en remplacement du Lieutenant-Colonel de Crèvecœur, nommé chef de la FICS. Dans le même temps, le chef du PC avancé du S.A. à Calcutta, le Capitaine de Corvette de Riencourt, quitte ses fonctions ainsi que son adjoint, le Capitaine Laure; cependant, le Lieutenant Leroux, cheville ouvrière de cette antenne, reste en place. Ces changements sont l'aboutissement d'un conflit de plusieurs mois entre les représentants respectifs de la DGER et du Général Blaizot. La subordination du S.A. aux ordres du Général Blaizot n'avait jamais été admise par la DGER; de plus, depuis le départ du Commandant de Langlade des Indes, il n'y avait plus de délégué de la DGER aux Indes. De ce fait, les chefs respectifs du S.R. et du S.A. étaient livrés à eux-mêmes sans avoir d'autorité supérieure locale DGER pour les orienter et les départager.

En Indochine, c'est essentiellement au Laos que la présence du S.A. est effective car c'est là que les forces japonaises sont le moins développées. Au 15 Mai, trois groupes y opèrent: Fabre (Paksanne), "Serres"-Ayrolles (plateau du Tranninh) et Tuai (Nord de Vientiane); le Haut-Laos compte 200 européens.

En Juillet, après la Conférence de Potsdam, il est décidé que l'Indochine sera partagée en deux zones de part et d'autre du 16ème parallèle. Au Sud, l'autorité se voit confiée au SEAC (Gurkhas du Général Gracey, et une compagnie du RIC), et au Nord c'est au Général Lou Han et à ses troupes.

Le 9 Août, le Colonel Roos, nouveau Délégué Général de la DGER en Extrême-Orient, propose aux responsables de la FORCE 136 de parachuter le maximum d'officiers spécialiste du Renseignement et de l'Action; ces officiers seront investis de fonctions civiles et chargés de réinstaller l'administration française dans les principaux centres du pays Indochinois.

Le 15 Août, le Japon capitule; il se voit néanmoins confier la sécurité dans tout le territoire jusqu’à l'arrivée des troupes alliées (britanniques et chinoises). Les japonais en profiteront pour favoriser davantage le développement de l'Armée de Libération de Ho Chi Minh. Au jour de la capitulation japonaise, les moyens du S.A. en service à l'intérieur du territoire indochinois sont de 319 européens et 200 indigènes.

Le 25 Août, ordre est donné à tous les éléments du S.A. au Laos de pénétrer dans les villes et de s'emparer de l'administration. Dans le même mouvement, fin Août, trois missions à visées politiques sont exécutées aux ordres de l'Amiral d'Argenlieu, Haut-commissaire en Indochine (parachutage de trois Gouverneurs: Cédille à Saigon, Nolde à Phnom Penh, Messmer à Hanoi).

Fin Septembre, le 23 et 29, des tentatives d'introduction d'une soixantaine de parachutistes (Cie B du Sème RIC) à Vientiane, ont lieu à l'initiative du Général Leclerc, en accord avec l'Amiral Mountbatten.

Le 3 Octobre, le 11ème et le 5ème RIC débarquent à Saigon; Leclerc y arrive le 5.

Après l'arrivée du Général Leclerc, l'organisation des forces de guérillas du Laos est remaniée. Ainsi, le S.A. se transforme en "Etat-major des Troupes du Laos", ne dépendant plus de la DGER mais du Chef d'E.-M. du Général Leclerc.

Le 12 Novembre, le Commandant Maze et onze hommes de la DGER sont parachutés à Nong Khay (Laos); ils prennent le commandement des guérillas du secteur de Vientiane. Cette opération est l'une des quatre développées face au nouveau danger viet-minh. Toujours au Laos, des équipes rencontrent quelques difficultés face aux chinois qui les désarment et les repoussent vers la jungle.

A partir du 15 Novembre, s'opère la liquidation de la FICS (et de la FORCE 136). Sont reversées à la SLFEO (Section de Liaison Française en Extrême-Orient) la plupart de ses effectifs.

Dernier trimestre 1945: tentative ultime de conciliation avec le viet-minh; les britanniques n'ont pas encore désarmé totalement les japonais; actions franco-britanniques en Cochinchine et en Annam; opération "Moussac" sur Mytho et le Mékong; actions des Commandos SAS, Conus, Ponchardier et Massu. Au Cambodge, le Colonel Huard est nommé Commissaire de la République et Commandant Militaire.