30 septembre 2010

Le Q ! d’Orsay

Si, comme le disait le Cardinal de Richelieu, la politique est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire, la diplomatie doit être un de ses outils les plus précieux en matière de relations internationales et ce dans le seul souci du « succès des armes » du pays.

La diplomatie est, dit-on, affaire de tact, d’intelligence, d’expérience, de compétence, de connaissances, bref, c’est un savoir-faire, un métier, voire une vocation. C’est une activité où le long terme prévaut, où l’on cherche à comprendre avant d’agir, où l’on envisage l’univers des possibles dans l’appréhension des problèmes, des questions qui se posent, ceci afin de répondre aux situations au plus juste dans le cadre de notre stratégie globale de politique étrangère (quand elle existe).

L’action diplomatique ne se réduit pas bien sûr au domaine du politique ou de l’économique mais touche aussi au culturel, le rayonnement d’un pays à l’étranger passant indubitablement par ce biais métapolitique.

Un récent ouvrage (1) est venu nous apporter une image de la réalité, et il fut donné comme une claque cinglante aux fonctionnaires du Quai d’Orsay ; une critique salutaire (et tellement jouissive) tant le comportement et les agissements de nos diplomates ont atteint, semble-t-il, un point de non retour.

Une claque salutaire…
(source : http://marccapelle.files.wordpress.com/2010/05/les-diplomates-couverture.jpg )

A Jakarta (Indonésie), l’activité culturelle officielle française est semblable à ce qu’elle est partout ailleurs dans le monde au sein de nos différentes représentations diplomatiques, et aussi à l’image de ce qu’est devenu aujourd’hui notre pays, c'est-à-dire pas grand’chose ou pire, un cloaque.

Fin septembre / début octobre 2010, se déroule au Centre Culturel Français (CCF) de Jakarta (2), sous le patronage de l’Ambassade de France, un festival singulier : le « Q ! Film Festival » (3). De quoi s’agit-il ? Par delà l’intitulé de cette manifestation où la langue française est encore une fois bafouée (une banalité aujourd’hui…), reste le fond : le « Q ! Film Festival ». C’est un festival où seront projetés environ 80 films, provenant du monde entier et portant sur le thème « les homosexuels et les droits humains » (fiction et documentaire, longs en courts métrages). Ce festival se produira, en plus de Jakarta, dans cinq autres villes d'Indonésie : Yogyakarta, Surabaya, Malang, Makassar et Bali.

Le site internet du CCF de Jakarta, nous informe : « (…) le festival proposera notamment une manifestation littéraire (lancements de livres et discussions avec les auteurs) et une performance scénique adapté du programme radio « Rush Hour ». En collaboration avec le CCF, l’artiste d’origine colombienne Carlos Franklin installé en France depuis de nombreuses années exposera également ses photographies, des portraits traitant de sujets tels que l'hybridation culturelle, le déplacement, le voyage et le langage ». Tout un programme ; des plus alléchants, c’est certain.

A droite, le "sémillant" John Badalu, directeur du "Festival Q!" sponsorisé par le Quai d’Orsay.
(Source : http://lh4.ggpht.com/_jGDe02Li5Rk/SZYLCktzEQI/AAAAAAAAAw0/KSwe7FUg5sU/B09,boo,tonyR,john-.jpg) 

Ce n’est pas la première fois que ce festival se déroule à Jakarta. En effet, celui de cette année est la 9ème édition ! (4) Son directeur, un indonésien makassarais de 37 ans, John Badalu, est une figure du monde interlope de la capitale indonésienne. Les organisateurs du festival avouent ne pas promouvoir cet événement dans la presse locale. Trop conservatrice. Ils ne veulent pas non plus attirer l’attention des mouvements islamistes. Pour éviter un quelconque problème, John Badalu a trouvé une technique infaillible : il fait parrainer son festival par des centres culturels étrangers (essentiellement européens). « Comme les financements proviennent d’organisations étrangères et les films sont projetés dans des centres internationaux, dit-il, les radicaux n’oseront pas nous attaquer » (5). Bien sûr, c’est tellement plus simple de faire porter la responsabilité sur des vitrines européennes, occidentales… Vitrines totalement complices néanmoins.

Ce qu’il faut savoir, c’est que nous sommes en Indonésie, dans le plus grand pays musulman du monde et que ce genre de sujet et de manifestation est plutôt mal perçu par la majorité de la population. On ne saurait les en blâmer, tout au contraire ! Mais non, cela n’arrête pas nos représentants diplomates français.

Par ailleurs, il se développe depuis quelques années en Indonésie un courant conservateur, voire radical, à l’image de ce qui se passe dans les autres pays musulmans concomitamment à la mondialisation. Ainsi, de nombreux groupuscules islamistes activistes fondamentalistes et même terroristes, accroissent leur audience, utilisant la faiblesse des démocraties, surfant sur l’actualité internationale tant elle leur donne souvent de quoi justifier leurs positions (Irak, Afghanistan, Israël/Palestine, etc.).


Enfin, on a pu constater une réaffirmation de l’Islam dans le discours officiel indonésien avec des propos et des inflexions sur la moralité, sur les valeurs, etc. Un retour au vertueux que nos diplomates français n’ont pas manqué bien entendu de souligner - dans leurs bulletins quotidiens en direction du Quai - tant ils effectuent, c'est certain, un travail sans failles...

Le Quai d’Orsay
(source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/60/Quai_d%27Orsay.jpg )

Dans ce contexte, l’on peut légitimement se demander si nos diplomates - tant à la Centrale de Paris que ceux en poste - pensent un tant soit peu leurs actions lorsqu’ils décident de mettre en œuvre un tel festival « gay et lesbien ».

L’on peut se demander s’il relève vraiment de nos représentations diplomatiques (le CCF dépend de l’Ambassade) de promouvoir les sexualités marginales et déviantes quand bien même ce « Q ! Film Festival » est relayé par le Goethe Institut (Allemagne), la maison d’Erasme (Hollande) et le Japan Foundation Center. Deuxièmement, on peut également se poser la question de savoir si l’argent des contribuables français doit financer ce genre d’activités « culturelles ». Enfin, est-il judicieux dans le contexte actuel des relations internationales et particulièrement dans la situation que connait l’Indonésie aujourd’hui, de se lancer dans de telles initiatives ?

Déjà, un mouvement islamiste radical, en l’occurrence le Front Pembela Islam (FPI, le Front des Défenseurs de l'Islam), à conduit diverses des manifestations dans la capitale, devant les divers endroits où se déroule ce festival, demandant que soit stoppé au plus tôt le « festival de Q ! ». De plus, le FPI est suivi par des associations d’étudiants, telle Salam de l’Université d’Indonésie (UI Jakarta), une association aux idées également radicales islamistes. Et il est fort à parier que cette contestation va se développer, que d‘autres mouvements, tel le Hizb ut Tahrir Indonesia (HTI,  un mouvement transnational islamiste radical), vont se joindre au cortège, sans oublier le Partai Keadilan Sejaterah (PKS, le Parti de la Justice et de la Prospérité), un parti politique membre de la coalition gouvernementale actuelle, lequel va sûrement réagir.

Le festival de Q!
(source: http://www.ccfjakarta.or.id/culture/cinema/qfest/ )

Sans pour autant se soumettre aux exigences des ces groupes d’islamistes fanatiques, la France doit-elle néanmoins proposer à l’étranger de telles « productions culturelles » même si le directeur dudit « Q ! Film Festival » est un indonésien ? Est-ce ainsi que l’on fait vraiment entendre « la voix de la France » ? que l’on participe au rapprochement des peuples ? On peut en douter. Et que penser des conséquences de ce genre d’acte ?

Ce qu’il faut souligner en dernier point au sujet de ce « festival de Q ! », de cette manifestation lamentable, de cette avanie patentée, c’est l’irresponsabilité totale de nos diplomates (6), leur manifeste incurie intellectuelle et stratégique, le mépris de leur fonction et des intérêts qu’ils sont sensés défendre. C’est à se demander s’ils connaissent un tant soit peu le pays dans lequel ils sont postés, s’ils pensent aux conséquences (politiques et économiques) de leur acte à long terme, s’ils estiment en cela participer à la protection des intérêts français à l’étranger, au « rayonnement de la France ». En agissant de la sorte, à Jakarta, ces « diplomates » ne donnent en fait que du grain à moudre aux extrémistes islamistes, lesquels n’attendent que ce genre d’incident pour avancer encore un peu plus leurs pions et développer leur notoriété.

Le Quai d’Orsay n’est vraiment plus ce qu’il était, s’enfermant dans le délire idéologique, la veulerie politique, la pitrerie délétère, la gabegie généralisée. Misère.

Comme le constatait Léon Bloy, "De plus en plus, il semble se dégager de la société contemporaine une haleine de prohibition absolue contre les réfractaires à l'universelle ignominie. Les voyous, devenus nos maîtres, ont édictés la salauderie nationale et obligatoire dont le premier et unique article est de conspuer tout ce qui fit la grandeur morale et l'espérance des hommes" (7).

Eminents diplomates…
« L’annonciation » (1485) peinture sur bois d’Antoniazzo Romano (c. 1430-1508/12),
au Santa Maria sopra Minerva, de Rome. (source : http://www.wga.hu/art/a/antoniaz/annunci.jpg )

Notes :

(1) Les Diplomates, derrière la façade des ambassades de France de Franck Renaud, cf. http://www.amazon.fr/diplomates-Derri%C3%A8re-fa%C3%A7ade-ambassades-France/dp/2847365184 .
(2) l'un des plus grands centres culturels français au monde.
(3) « distingué par un Teddy Award au Festival du Film de Berlin », apprend-t-on sur le site du CCF Jakarta.
(4) Le festival Q! est le plus important événement homosexuel de toute l’Asie.
(5) Cf. http://www.l-indonesie.fr/neuvieme-edition-du-festival-q-en-indonesie#more-84
(6) tant ceux de Paris (qui ont avalisé la chose) que ceux qui se trouve à Jakarta (les maîtres d’œuvre). Seule question en suspens néanmoins et à décharge de certains : ceux en poste comme nos Ambassadeurs ont-ils au moins la marge de manœuvre nécessaire face à des injonctions de Paris ? Ce n'est pas certain du tout.
(7) Belluaires et Porchers, Introduction p.xxii. Stock, 1923.

17 septembre 2010

Huntington et le choc des civilisations en question

A la lecture de la quatrième de couverture et  de l'introduction, Samuel Huntington fait immédiatement penser à Francis Fukuyama, cet Harvardeux s’il en est, lequel avait pondu en son temps un ouvrage intitule La fin de l'Histoire. Ce livre était un ramassis de billevesées, d'assertions gratuites, d'inepties pseudo philosophiques, et quelques années ont suffit à balayer et à néantiser; bref, c’était un livre « happening » qui voulait démontrer la victoire totale et planétaire de l’idéologie libérale et démocratique après la chute du mur de Berlin ; le monde connaissant aujourd’hui « la fin de l’histoire ». Mais à rejeter l’Histoire, elle revient souvent en pleine figure et avec plus violence… Fukuyama était un Top adviser, consultant, Harvardeux, tout comme Huntington d’ailleurs lequel est, en plus, expert auprès du Conseil National Américain.

Mais, disons le dès maintenant, Huntington est bien plus intéressant que Fukuyama ; ce qu’il évoque est plus profond, plus « sérieux ». Il pointe là où il faut. Cependant, comme le disait Nietzsche à propos des Confessions de Saint-Augustin, il faut « fouiller dans ses entrailles » afin de saisir véritablement le propos et ses implications.
Samuel P. Huntington en 1985.
(source : http://www.cooperativeindividualism.org/huntington-samuel-1985.jpg )
Qu’en est-il de la réalité et la validité de sa thèse du choc des civilisations ? Pour connaître un auteur, il n'y a pas deux solutions. Comme le disait François Vezin, mon professeur de Philosophie en Hypokhâgne : "Mieux vaut lire une page d’un auteur que cinq livres sur cet auteur". Lisons donc ce livre de Samuel P. Huntington.

C’est une vision américaine du monde qui apparaît dès les premières pages. Dans la méthode, tout d’abord ; on est choqué dès l’introduction par la somme d’assertions déversées et par le manque de questionnement ; par le fond ensuite, avec le survol hâtif de l’histoire venant soi-disant démontrer que ce choc des civilisations n’a jamais existé avant la chute du Mur de Berlin. Ce serait un comble pour l’auteur (américain) de dire ou d’accepter que le monde régresse, d’autant plus que celui-ci (pour sa partie occidentale laquelle domine actuellement le reste de la planète) est conduit par les Etats-Unis…

La thèse du livre tient dans sa vision originale du monde d’aujourd’hui et des conflits de demain ; nous sommes confrontés à une nouvelle structure organisationnelle du monde, laquelle n’est plus idéologique, politique ou économique, mais culturelle et civilisationnelle. Les conflits à venir seront inter-civilisationnels, et s’opèreront surtout aux différentes zones de ruptures, aux zones de contacts inter-civilisationnelles. Il y a, dans ce monde Huntingtonien, des « civilisations », des Etats phares et des pays déchirés.

Après une ouverture où apparaît la notion importante pour l’appréciation de la politique globale (le monde d’aujourd’hui est un monde multipolaire), l’auteur cherche en premier lieu à mettre en évidence l’utilité d’un paradigme pour lire le monde de l’après guerre froide ; états-nations, zones de conflits, cultures, et enfin civilisation(s). Il développe ce dernier comme étant celui qui évite les différents écueils que présentent les autres paradigmes (parcimonie, réalisme aveugle). Mais si ce paradigme est instructif, il n’est pas pour autant suffisant ; l’élément géostratégique est nécessaire à une bonne lecture du monde. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, les Etats-Unis et l’Europe, si elles embrassent la même religion chrétienne, n’ont pas pour autant les mêmes intérêts ni les mêmes approches économiques, politiques, culturelles. La « civilisation occidentale » regroupant USA et Europe, ne possède donc pas un « nous ».
Dans son « interrogation » sur l’existence d’une civilisation universelle, Huntington parle du rôle de la langue anglo-saxonne ; c’est, dit-il, précisément parce qu’on veut préserver sa propre culture qu’on utilise l’anglais pour communiquer avec des personnes d’une autre culture. Voilà une vision bien égocentrique américaine, voire totalement infondée.

A quelle lumière apprécier les développements quand, à plusieurs reprises, l’évidente mauvaise foi se fait montre : les Etats-Unis qui seraient innocents de la chute du Shah et témoins impuissants de l’arrivée de Khomeiny, par exemple. Pour ce qui est de l’effacement de l’Occident, comment ne pas souligner les poncifs sur la pseudo avance technique de la Chine, notamment sur l’invention de l’imprimerie ou de la poudre alors que les caractères mobiles sont le fait d’une invention européenne, et que la poudre ne servait qu’aux feux d’artifices avant l’arrivée des Jésuites. Comment valider le poids de l’argumentation pour ce qui touche à l’économie et la démographie quand, parlant de pays d’Asie et de leur taux de croissance à deux chiffres, il n’est fait aucune mention du niveau économique à partir duquel la plupart de ces pays sont partis – ceci pondérant cela - et du fait que ce taux se stabilisera dans un proche avenir (dans le meilleur des cas après une courbe identique à celle du Japon entre 1950 et 1980). Par ailleurs, juger un pays à partir du seul taux de croissance semble plutôt assez limité comme approche ; cette dernière devant être plus globale, envisageant bien d’autres éléments.

Dans son chapitre sur la recomposition culturelle, apparaît la distinction « eux / nous », élément loin d’être nouveau, déjà évoqué et développé par Carl Schmitt dans sa Notion de politique. Les racines de la coopération économique, nous dit plus loin Huntington, se trouvent dans les affinités culturelles ; mais le tout est de savoir ce que l’on entend par « culturel ». Car si par culture l’auteur entend « démocratie, droits de l’homme, libéralisme, etc. » cela est très idéologique, même si vient se greffer par-dessus un voile géographico-historique.
Carl Schmitt (1888-1985)
(source : https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh3j2v5hiL4mzg3e4KeaJRVPPWqsQoET4p58lU76znYn4IT1KJzlNd-6i3uBSJ6aN9ulhisNls20EZPjF6MKpOIZ1Qb9tCUpYFzYeOyw4yhRDDKNEzdxAtd2YUlVtat6xXpz4zZmN-dJUPp/s1600/1294.jpg)

Quand à propos de Jérusalem, Huntington évoque de manière exclusive le droit des juifs et des musulmans, il omet simplement l’existence des chrétiens pour qui la ville a aussi « une signification historique ». Quand il parle de l’Afrique et de la nécessité d’un Etat phare, il avance comme pays l’Afrique du Sud ; cependant, ce rôle de chef de file des Etats africains reste à démontrer dans l’avenir. Ce pays était ce qu’il était grâce à l’action de ses gouvernements « blancs », et l’accès au pouvoir de l’ANC et les premiers bilans sur son action (taux de criminalité actuel, les éléments économiques, la stabilité politique, etc.) ne permettent pas de faire de brillantes prospectives.

Esquissant un tableau général des « pays déchirés » (Russie, Mexique, Turquie, Australie), Huntington tient des propos sur les relations entre l’Occident (sic) et la Russie qui ne manquent pas de sel ; avec le retour des « russes », nous dit-il, le fossé s’élargit entre Occident et Russie alors qu’au temps du régime soviétique, malgré les différences idéologiques entre le marxisme-léninisme et la démocratie libérale, les finalités de ces deux idéologies étaient identiques : liberté, égalité, bien-être matériel ! En fait, pour l’auteur, mieux vaut les marxistes plutôt que les nationalistes en Russie ! Et en avant pour une pointe de nostalgie de la période soviétique; on croit rêver…

Toujours à propos du vieux continent, Huntington écrit que les européens estiment (sic) la Turquie comme un pays ne faisant pas partie de l’Europe ; on appréciera cette « estimation » face aux réalités culturelles, religieuses existantes et aux données géographiques et historiques.
Globe terrestre
(source :http://www.proantic.com/galerie/celineetolivier/img/1994-1.jpg)
Parlant encore de la Turquie, il souligne un contraste « révélateur » avec la France quant à son attitude relative au port du foulard islamique ; la France, pour Hutington serait-elle islamique ? Si le port du voile est autorisé en Turquie, c’est pour des raisons culturelles et religieuses évidentes même si Mustapha Kemal avait tenté dans le passé une laïcisation de son pays (encore faudrait-il discuter du concept de laïcité tant en France qu’en Turquie) ; cependant, en France, le port du voile ne se justifie aucunement (sauf peut-être par idéologie).

Evoquant l’Australie et sa situation ambiguë quant au désir de certains dirigeants australiens d’arrimer ce pays au monde asiatique (l’option Keating-Evans), Huntington manque de qualifier cette attitude ; il s’agit d’une approche idéologique libérale de la réalité humaine où tous les hommes sont égaux et interchangeables, comme des produits manufacturés, où plus rien n’a de valeur mais où tout a un prix.

Plus loin, voulant démontrer la nécessité de l’existence d’Etat phare à l’intérieur des unités civilisationnelles et de leur rôle structurant, apaisant, Huntington retrace l’histoire récente des Balkans et des conflits qui s’y déroulent ; il nous donne son appréciation toute américaine de la situation : les Etats-Unis ont été obligés, dit-il, d’intervenir en faveur de la Bosnie, ceci dans la défense des intérêts musulmans qui n’ont pas d’Etat phare. Les USA se substituent donc aux états musulmans et contre les intérêts européens, ceci alors que les Etats-Unis revendiquent le rôle d’état phare de l’Occident. A plus ou moins long terme, et à l’évidence dans cette démonstration, le Nouvel Ordre Mondial américain se trouvera confronté à ce nouvel ordre international fondé, lui, sur les civilisations.
"Bienvenue au village, numéro 6 !" (vue de Singapour. Coll. pers.)

Dans une description du monde oriental européen, au détour d’un paragraphe, une opposition curieuse, sinon perfide apparaît : en Ukraine, nous dit-il, les habitants de l’Ouest du pays parlent l’Ukrainien et sont très nationalistes, alors qu’à l’Est ils sont orthodoxes et parlent en majorité le Russe. On sait ce qu’il en est de cette approche, avec la mise en place des révolutions colorées dans les anciens pays de l’Est et du rôle des Etats-Unis dans le soutien à celles-ci.

A propos de l’Islam en Turquie, les craintes d’Alexandre Del Valle rejoignent celles de Huntington ; et quand les espoirs de ce dernier se tournent vers un nouvel Atatürk, ce sont là bien des souhaits très américains.

Sur les problèmes intercivilisationnels, Huntington pose bien les enjeux : les chocs dangereux à l’avenir risquent de venir de l’interaction de l’arrogance occidentale, de l’intolérance islamique et de l’affirmation de soi chinoise.

La thèse de Fukuyama sur la fin de l’Histoire et le triomphe de l’idéologie libérale et démocratique après la chute du Mur de Berlin est balayée - toutefois non explicitement. Oui, nous sommes bien entrés dans un « autre monde » où les critères de nos gouvernants ne sont plus opérants. Il nous faut donc penser cette nouvelle situation, trouver les nouvelles articulations, les nouveaux critères, paradigmes, catégories.
Francis Fukuyama, né coiffé... 
(source modifiée : http://www.itusozluk.com/img.php/ef71097d73c268c0f29e2a1a99a6dfae28282/francis+fukuyama)

Critiquant les principes universels à géométrie variables sur les Droits de l’Homme et la Démocratie, Huntington en vient à plaindre la Bosnie et son isolement (elle n’a pas de pétrole et donc ne suscite aucun regard) ceci alors que les Etats-Unis interviennent assez - sinon trop - en sa faveur.

L’Europe et son immigration font l’objet d’une étude, mais il y a des inversions irrecevables : les pays européens, dit-il, n’assimilent pas leurs immigrés (alors que c’est aux immigrés de s’assimiler). Et quand l’auteur établit une comparaison avec les Etats-Unis, c’est une juxtaposition tout aussi irrecevable ; les pays européens ne sont pas des pays d’immigrations. Par contre, le danger d’une islamisation de l’Europe semble inquiéter Huntington, et à juste titre ; les gouvernements et les électeurs européens doivent être prêts, nous dit-il, à payer le coût (social, fiscal, économique) des mesures de sauvegarde. Nous connaissons déjà ce coût même si nos gouvernants ne l’évoquent pas officiellement.

Clairvoyance et lucidité de Huntington apparaissent dans son approche de la politique globale des civilisations : « Tant que l’islam restera l’islam (ce qui est certain) et que l’Occident restera l’Occident (ce qui l’est moins),  le conflit fondamental entre les deux grandes civilisations et les deux modes de vie continuera à influencer leurs relations à venir, tout comme il les a définies depuis quatorze siècles ».
Bernard Lewis, l'inventeur du "choc des civilisations"
(Source : http://www.princeton.edu/pr/pictures/l-r/lewis_bernard/lewis.jpg)
Le choc des civilisations, titre de l’ouvrage, est tiré d’une analyse de Bernard Lewis sur les racines de la violence musulmane datant de 1990 ; on ne l’apprend pas dans l’introduction, mais au détour du chapitre neuf de l’ouvrage…
Chose amusante, un terme apparaît dans la terminologie Huntingtonienne, et qui plus est avec une acception particulière, celui de « révisionnistes » pour désigner les américains optant pour une position plus dure vis-à-vis du Japon sur les questions économiques. Les Marxistes-Léninistes avaient eux aussi leurs « révisionnistes », tout comme l’Histoire contemporaine a les siens d’ailleurs.

Toujours au sujet du Japon et des Etats-Unis, on apprend que ces deux pays parmi les plus militaristes du monde sont aussi les plus pacifistes ! Il doit s’agir, pour le cas des Etats-Unis, d’un Pacifisme à la mode Romaine… C’est sûrement le même pacifisme qui fait que les Etats-Unis ont toujours « empêché qu’émerge en Europe une puissance dominante ». Et pour ce qui concerne la seconde guerre mondiale, si les Américains sont intervenus c’était pour « restaurer l’équilibre rompus entre les forces européennes » ; rien que ça, et pas du tout pour des motifs plus bassement matériels et économiques, bien entendu…

La Chine fait l’objet d’une bonne approche et analyse ; cependant, les conclusions et notamment l’une d’entre elles est incohérente ; la Chine, nous dit Huntington, optera dans l’avenir d’une part pour la paix, et d’autre part pour l’hégémonie. On ne voit pas vraiment l’articulation fonctionner corrélativement ; l’hégémonie engendrant nécessairement à un moment ou un autre le rejet voire le conflit.
Soldat de Sparte apportant une paix...définitive.
(source : http://tpprovence.files.wordpress.com/2009/06/sparte1.jpg)
Pour ce qui est de l’attitude des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine, on note une curieuse discordance voire une incohérence; en effet, les Américains interviendraient contre la Chine, élevée au rang de puissance hégémonique en Asie. Cependant, quand les USA interviennent en Bosnie, c’est pour « suppléer à l’absence d’Etat phare islamique », et quand un Etat phare existe dans une civilisation  - en l’occurrence, asiatique - et qu’il fait montre de ses prérogatives normales, les Etats-Unis entre en conflit avec lui. Dans un chapitre ultérieur, nous apprenons qu’en intervenant en faveur de la Bosnie, les Etats-Unis faisait de la Realpolitik. En fait de Realpolitik, il s’agit pour les USA d’entretenir un foyer d’instabilité en Europe, ceci pour justifier sa présence et renforcer l’implantation et le rôle de l’OTAN sur le vieux continent.

Dans le cadre des nouvelles alliances, on apprend que deux états d’Amérique latine ont renoncé à acquérir la bombe, et qu’ils n’ont pas l’intention de remettre en cause la domination militaire américaine. Ces deux états y ont peut-être renoncé, mais à quel prix ! De plus, s’il n’y a pas remise en cause, c’est tout simplement parce qu’ils n’ont pas les moyens de le faire, et pas précisément par sympathie.

Au sujet de l’Afrique, on lit qu’un « processus au long cours de désoccidentalisation semble à l’œuvre » ; pourtant, les USA semble plutôt se substituer aux anciennes puissances coloniales européennes. L’Afrique du Sud, nous dit Huntington, finit par donner dans sa culture la prépondérance aux éléments africains sur les éléments afrikaners et britanniques ; africains, oui, et précisément tribaux, quand on constate la prépondérance des Kxosas de l’ANC au pouvoir face aux Zoulous de l’Inkata. Mais Huntington n’évoque pas non plus le développement et les conséquences de la présence chinoise sur le continent noir ; un élément pourtant important qui aura certainement des répercutions, tant la Chine n’a pas la tradition et la culture coloniale des pays européens, adoptant des modalités d’actions somme toute assez brutales.

Bonne analyse de Carroll Quigley reprise par Huntington : quand la civilisation n’est plus capable de se défendre elle-même parce qu’elle n’a plus la volonté de le faire, elle s’ouvre aux envahisseurs barbares qui viennent souvent d’une autre civilisation, plus jeune et plus puissante. Si l'on prend le cas de l'Europe, c’est en fait le Camp des Saints de Jean Raspail qui est décrit là (Cf. la nouvelle édition 2011 du roman chez Robert Laffont, avec une préface intitulée Big Other). Et Valery ne disait-il pas pour sa part, en 1922, de façon incroyablement prémonitoire : « L'Europe aspire visiblement à être gouvernée par une Commission américaine. Toute sa politique s'y dirige » (in Regards sur le monde actuel; Notes sur la grandeur et décadence de l'Europe. p.34, 62ème édition, 1945).
Jean Raspail, écrivain et prophète...
(source : http://www.meretmarine.com/objets/500/13042.jpg)
Dans le chapitre sur l’Occident, une assertion toute gratuite vient renforcer l’idée selon laquelle l’immigration en Europe était inéluctable, voire nécessaire : les gouvernements, nous dit Huntington, ne pouvaient sans doute pas remédier aux faibles taux de natalité. Il y a plutôt de la part de ces gouvernements la volonté délibérée d’affaiblir et de réduire les capacités d’autorégénération de leur société respective, d’imposer la mise en place d’une société multiculturelle et donc hétérogène dans ses fondements (sans défenses immunitaires), ceci pour instituer plus facilement un type « occidental », uniforme, de société. Mais l'argument est toujours le même : "On ne peut pas faire autrement !", "C'est inéluctable !", "Vous voulez mourir aujourd'hui ou dans cinq ans ? Alors, faites comme on vous le dit ! ".

Plus loin, toujours sur l’Occident, on apprend que « l’avenir des Etats-Unis et de celui de l’occident dépend de la foi (sic) renouvelée des Américains en faveur de la civilisation occidentale ». Une foi de quelle nature ? et surtout et principalement de quel « occident » parle-t-on ? Nous sommes en plein brouillard… Quant à la « cause » définie par Malcolm Rifkind (Ministre de la Défense Britannique) sur la nécessité de l’établissement d’une « communauté atlantique », elle est en fait la cause de Davos - tout simplement…

Le scénario catastrophe qui clos le dernier chapitre veut démontrer la logique des conflits intercivilisationnels et de leurs méfaits : tout le monde en sortirait affaibli sauf les non-belligérants, le centre politique se déplacerait vers le Sud. Mais la démonstration relève simplement d’une évidence ; il décrit une logique et l’enchaînement à partir d’un conflit régional vers un conflit majeur intercivilisationnel. Si la « démonstration » est vrai, on ne voit pas ce qu’il fallait démontrer et ce qui ne préexistait pas à la thèse Huntingtonnienne.

Le modèle à suivre entre les civilisations pour une coexistence pacifique est, selon Huntington, ce qu’a entrepris le Gouvernement de Singapour ! Seulement cela se passe dans un Etat au « totalitarisme mou » et à 80% chinois, donc structurellement homogène ; c’est simple et il fallait y penser. La loi et l’ordre sont les conditions premières de la Civilisation, nous dit un peu plus avant l’auteur ; là encore, et s’il ne le nomme pas (et même s’il n’y pense pas) il s’agit tout simplement du programme de gouvernement de l’ex-SLORC (Parti pour le rétablissement et l’instauration de la loi et de l’ordre) au Myannmar.
Les deux premiers ouvrages de Samuel Huntington
Bien qu’aidant à penser le monde de demain voire d’aujourd’hui, Huntington dans son « Choc des civilisation » nous a un peu déçus. En effet, en dehors des critiques rapportées plus avant, l’auteur nous avait habitué à mieux. En effet, tant dans sa thèse de 1957, « The Soldier and the State » - ou était développée l'idée, certes discutable, selon laquelle depuis la Révolution Française, le  professionnalisme du soldat  était l'élément clef pour que ce dernier reste en dehors de la sphère du politique -  que dans son ouvrage de 1968, « Political Order in changing societies » - où il analysait le Politique, ses mutations, ses nouvelles articulations et leurs possibilités -  les idées et les analyses de Huntington étaient plus rigoureuses et aussi moins réductrices et « politiques ».

Rappelons enfin, qu'en 1995, François Thual, dans son livre sur les « Conflits identitaires » (Cf. chapitre XX), critiquait déjà Huntington et son analyse réductrice; il parlait alors précisément non du livre que nous connaissons mais de l'article paru en 1993 dans Foreign Affairs, article qui préfigurait le fameux "The Clash of civilizations". Pour François Thual, "Huntington fait de la géopolitique à l'estomac"; certes dit-il, "les travaux de Huntington ont pressenti, ont repéré un élément de la réalité géopolitique qu'il n'y a pas lieu de négliger. Mais en globalisant et en généralisant, Huntington a immédiatement minimisé sa découverte".

Samuel P. Huntington nous a quitté en décembre 2008 et si ses deux premiers ouvrages  resteront très certainement des ouvrages de références majeurs, l’on peut douter de la valeur objective et de l’intérêt de ce « Choc des civilisations » sinon peut-être d’avoir remis en scène, « à la mode », ce que nous connaissions déjà depuis au moins Fernand Braudel, à savoir l’importance du fait civilisationnel dans l’Histoire, de sa "grammaire" et les affaires du monde. Néanmoins, la civilisation n’est qu’un des éléments pour appréhender cette nouvelle structure organisationnelle qui se met en place et qui va régir les affaires du monde. Toute analyse ou explication monocausale est par essence vouée à l’échec, voire belligène. C’est pourquoi il s’agit plutôt d’utiliser une approche multicritères, pluri-disciplinaire ; en un mot, une approche réaliste et dé-idéologisée dans l’étude des relations internationales.
Fernand Braudel
(source : http://www.babelio.com/users/AVT_Fernand-Braudel_1007.jpeg )

13 septembre 2010

"Mandalay", un poème de Rudyard Kipling (1892)

Ce blog porte un titre ( "A l'Est de Suez") que je n'ai songé jusqu'ici à expliciter. Le temps est venu - peut-être avec ces températures qui baissent et ce soleil qui ne chauffe plus - de signaler l'origine de ce nom, pour ceux qui ne connaîtraient pas encore ce beau poème.
La traduction en est assez libre, c'est certain, mais c'est la mienne; elle n'est en rien orthodoxe, elle reflète simplement mon sentiment et mon approche du poème.

 Carte de l'Asie du Sud-Est du temps de l'Empire Britannique
(source : http://www.lib.utexas.edu/maps/historical/indo_china_1886.jpg)

A Moulmein près de la vieille pagode, regardant nonchalamment la mer,
Est assise une jeune Birmane et je sais qu’elle pense à moi ;
Car il y a du vent dans les palmiers et les clochettes du temple disent :
"Reviens-t-en, soldat Britannique ; reviens-t-en à Mandalay !"
Reviens-t-en à Mandalay où la vieille flottille est en panne :
N’entends-tu pas le travail des aubes de Rangoon à Mandalay ?
Sur la route de Mandalay où jouent les poissons volants,
Et l’aurore se lève comme l’orage en Chine, de l’autre côté de la Baie !  


Moulmain vu de la vieille pagode  

Son jupon était jaune et son petit bonnet était vert,
Et son nom était Supi-yaw-lat, le même que celui de l’épouse du roi Thibaw,
Et la première fois que je la vis, elle fumait un énorme cigare blanc,
Et gaspillait des baisers chrétiens au pied d’une idole païenne ;
Idole resplandissante faite de boue qu’ils appelaient le Grand Dieu Bouddha
Brave petite, comme elle s’en souciait des idoles quand je l’embrassais sur place !
Sur la route de Mandalay...

Intemporelle beauté d'Asie (dessin de Jean-Yves Pastinelli, 2002)

Quand la brume couvrait les rizières et que le soleil descendait lentement,
Elle prenait son petit banjo et elle chantait "Kulla-lo-lo !"
Son bras sur mon épaule et sa joue contre ma joue
Nous regardions les vapeurs et les hathis empilant le teck.
Éléphants empilant le teck dans la crique boueuse, boueuse,
Où le silence pesait si lourd qu’on osait à peine parler !
Sur la route de Mandalay...

Mais tout cela est loin derrière moi, il y a bien longtemps et loin d'ici
Il n’y a pas de bus roulant entre Bank et Mandalay ;
Et j’apprends ici, à Londres, ce que disent les anciens:
"Si vous avez entendu l’appel de l’Orient, vous n’aurez jamais besoin de rien d’autre"
Non ! vous n’aurez besoin de rien d’autre que ses fortes senteurs d’épices,
Et du soleil et des palmiers et des clochettes du temple qui tintent
Sur la route de Mandalay...


Jeune fille birmane

Je suis fatigué d’user mes semelles sur ces pavés râpeux,
Et ce fichu crachin Engliche réveille la fièvre dans mes os ;
Même si je me promène avec cinquante servantes, de Chelsea au Strand,
Elles parlent abondamment d’amour, mais Dieu, qu’en savent-elles ?
Visage bovin, mains sales - et l’Ordre ! Qu’en connaissent-elles ?
J’ai une jeune fille plus nette, plus douce, sur une terre plus propre et plus verte !
Sur la route de Mandalay...

Emmenez-moi quelque part à l’Est de Suez où le meilleur est comme le pire,
Où il n’y a pas de dix commandements et où tout homme peut boire jusqu’à plus soif ;
Car les clochettes du temple appellent et c’est là-bas que je voudrais être
A Moulmein près de la vieille Pagode, regardant paresseusement la mer ;
Sur la route de Mandalay, où la vieille flottille est en panne,
L’infirmerie sous le taud quand nous allions à Mandalay !
Ô route de Mandalay, où jouent les poissons volants,
Et l’aurore se lève comme l’orage en Chine, de l’autre côté de la Baie !
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Flotille sur L'Irrawaddy
(source : http://www.taistartnt.com/assets/images/Old_Pictures_Of_Ships.jpg)

Mandalay (texte original)

By the old Moulmein Pagoda, lookin' lazy at the sea
There's a Burma girl a-settin', and I know she thinks of me
For the wind is in the palm-trees, and the temple-bells they say
"Come you back, you British Soldier, come you back to Mandalay."
Come you back to Mandalay, where the old Flotilla lay
Can't you 'ear their paddles chunkin' from Rangoon to Mandalay
On the road to Mandalay, where the flying-fishes play
An' the dawn comes up like thunder outer China 'crost the Bay.

Mandalay
(source : http://www.mulfry.org/MulFry/Myanmar/Images/mandalay15.jpg)

'Er petticoat was yaller an' 'er little cap was green
An' 'er name was Supi-yaw-lat-jes' the same as Theebaw's Queen
An' I seed her first a-smokin' of a whackin' white cheroot
An' a-wastin' Christian kisses on an' 'eathen idol's foot
Bloomin' idol made of mud - what they called the Great Gawd Budd
Plucky lot she cared for idols when I kissed 'er where she stud
On the road to Mandalay...


La vieille pagode de Moulmein
(source : http://picasaweb.google.com/lh/photo/Tbj5bk7SCFMhbQuO0zgzVw)

When the mist was on the rice-fields an' the sun was droppin' slow
She'd git 'er little banjo an' she'd sing 'Kulla-lo-lo'
With 'er arm upon my shoulder an' 'er cheek agin my cheek
We useter watch the steamers an' the hathis pilin' teaks
Elephants a-pilin' teak in the sludgy, squdgy creak
Where the silance 'ung that 'eavy you was 'arf afraid to speak
On the road to Mandalay...


Moulmain
(source : http://www.myanmar-all.com/)

But that's all shove be'ind me - long ago an' far away
An' there ain't no buses runnin' from the Bank to Mandalay
An' I'm learnin' 'ere in London what the ten-year soldier tells
"If you've 'eard the East a-callin', you won't never 'eed naught else."
No! you won't 'eed nothin' else, but them spicey garlic smells
An' the sunshine an' the palm-trees an' the tinkly temple-bells
On the road to Mandalay...


Le Strand à Rangoon
(source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/2a/The_Strand_Hotel%2C_Rangoon.jpg)

I am sick o' wastin' leather on these gritty pavin' stones
An' the blasted English drizzle wakes the fever in my bones
Tho' I walks with fifty 'ouesmaids outer Chelsea to the Strand
An' they talks a lot o' lovin', but wot do they understand?
Beefy face an' grubby 'and - law! wot do they understand?
I've a neater, sweeter maiden in a cleaner, greener land
On the road to Mandalay...


Bagan (Pagan)
(source : http://wallpapers.pixxp.com/63_~_Burma_-_Bagan%2C_Myanmar.htm)

Ship me somewhere East of Suez, where the best is like the worst
Where there aren't no Ten Commandments an' a man can raise a thirst
For the temple-bells are callin', an' it's there that I would be
By the old Moulmein Pagoda, lookin' lazy at the sea
On the road to Mandalay, where the old Flotilla lay
With our sick beneath the awnings when we went to Mandalay
O the road to Mandalay, where the flyin'-fishes play
An' the dawn comes up like thunder outer China 'crost the Bay.

9 septembre 2010

Etoiles du souvenir

J’ai visionné, il y a quelques temps, un film réalisé par Christophe de Ponfilly, intitulé « l’Etoile du soldat ». Un film que son réalisateur n’a pas vu sur les écrans puisqu’il est malheureusement décédé le 16 mai 2006, peu de temps avant la sortie en salle, en novembre de cette même année.


































L'affiche du film.

Le film relate les tribulations de Nicolaï (Sacha Bourdo), jeune chanteur de rock dans un petit groupe de musicien d'une ville de province. Nous sommes en 1984. Appelé au service militaire (deux ans tout de même !) Nicolaï se retrouve en Afghanistan comme tant d’autres soviétiques ; il y découvre la guerre, la violence, la mort.

























Nicolaï prisonnier.


Un jour, au cours d’une patrouille dans un village de la vallée du Panchir, alors qu’il voulait cueillir des raisins dans la cour intérieure d'une maison, il est fait prisonnier par les Afghans ; il restera de longs mois chez les insurgés. Une chance pour lui, il est chez les Tadjiks, lesquels ne le maltraiteront pas.
















Les Tadjiks, poètes guerriers (image du film); à gauche du musicien, Nicolaï.

Se liant d’amitié avec le Commandant Najmoudine, le chef du groupe de combat, ainsi qu’avec un poète guerrier, qui lui apprendra à jouer d’un instrument à corde local, Nicolaï s’acclimate peu à peu à cette nouvelle vie ; il suit les Mudjahidines dans leurs pérégrinations, leur quotidien, leurs combats - mais ne va tout de même pas jusqu’à tirer sur ses compatriotes. Nicolaï rencontre également un journaliste français, Vergos (Patrick Chauvel) ; le russe, qui a appris le français à l’école, est ravi de cette rencontre. Vergos qui accompagne les combattants afghans, capte sur ses pellicules les témoignages de cette guerre ; c’est lui le narrateur.

Barbu, chevelu, vêtu à l’afghane, méconnaissable, bien accepté parmi les Afghans, Nicolaï sera finalement libéré. Vergos, qui doit lui aussi quitter le territoire afghan pour témoigner avec ses films, accompagne Nicolaï vers la frontière pakistanaise.

Le film s’arrête alors que les deux étrangers sont à vue de la frontière orientale [1].

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


















Nicolaï et Vergos.
 
« L’étoile du Soldat » est le seul film de fiction réalisé par Christophe de Ponfilly. Le sujet, il le connaît bien, lui qui a arpenté ces vallées rudes du Nord Est de l’Afghanistan comme reporter pendant de nombreuses années, et ce, dès 1981. Il est un des journalistes français qui a beaucoup fait pour porter à la connaissance du plus grand nombre la réalité de ce conflit, multipliant les reportages, les photos, les conférences de presse, les livres, etc. C’est d’ailleurs grâce à Christophe de Ponfilly et à ses reportages que nous connaissons bien le Commandant Massoud. Grâce à ses films, Ponfilly a fait connaître le conflit afghan en France et ailleurs dans le monde.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 







Le Lion du Panshir, Achmad Shah Massoud.
 
Cependant, avec le recul, surtout quand on voit ce qui se passe aujourd’hui en Afghanistan, on peut se demander si cela a servi à quelque chose. Christophe de Ponfilly s’est donné beaucoup de mal et n’a pas vraiment été entendu par les politiques, malgré un succès pour ses reportages. Ce silence et l'inaction de ces politiques blessa fortement le réalisateur. De plus, il a eu des difficultés à surmonter le décès brutal de Massoud, son ami.  C'est peut-être la raison pour laquelle il a voulu s’attaquer, dans sa dernière oeuvre, à une fiction pour faire partager autrement son sentiment sur ce conflit, sa vision du monde.

Le film a été tourné sur place, dans la vallée du Panchir, avec des Afghans, des Tadjiks. Tous ces ingrédients font que le film sonne « vrai ». Certes, ce n’est pas un film hollywoodien, avec des moyens extraordinaires. Non, c’est un film simple, authentique ; d’aucuns, il est vrai, ont pu se plaindre du manque de maîtrise dans la réalisation de certaines scènes d’action. Reste que c’est un film juste, relatant le combat mené par ces hommes du Nord-Est de l’Afghanistan.
















Christophe de Ponfilly avec un de ses acteurs sur le tournage du film.
 
Auprès de ces Tadjiks combattants, nous sommes loin des « islamistes », des radicaux, de ceux que les hommes de Massoud appelaient eux-mêmes, non sans un certain mépris d'ailleurs, des « arabes ». Les combattants de la vallée de Panchir déploraient le fait que les armes qui remplissaient les râteliers des islamistes les plus radicaux, fussent d'origine américaine. Ces armes étaient amenées clandestinement via le Pakistan et ses Services (l’Inter Services Intelligence, l'ISI) – avec l’appui du fameux Charlie Wilson, membre de la commission du budget de la Défense américain (décédé le 10 février 2010, d’ailleurs) et acteur clef de l'Opération cyclone [2].
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 







L'inénarrable Charlie Wilson...
 
Les hommes du Commandant Massoud n’ont pas bénéficié de cette manne, eux. Pourquoi ? Trop… nationalistes, peut-être ? Pas assez manipulables ? Il n’en demeure pas moins que ce sont bien les Etats-Unis qui ont armé les islamistes et les plus radicaux, de surcroit ; les plus puritains de ces islamistes partageaient ainsi quelques « affinités électives » avec les puritains protestants américains. On connaît la suite...

Quand les Talibans sont arrivés au pouvoir, cela n’a dérangé personne ; à commencer par les Etats-Unis eux-mêmes. Les médias parlaient, certes, de ces Talibans au pouvoir, mais sans plus. D’aucuns louaient les actions menées par les nouveau maîtres de Kaboul contre les cultures de chanvre. Le pavot, lui, continuait de pousser. Il est même entré dans une stratégie antioccidentale (« pourrir les occidentaux infidèles avec la drogue »).

Curieusement, ce n’est que lorsque les Talibans - après avoir repoussé à plusieurs reprises différentes propositions - ont finalement refusé catégoriquement de signer avec les entreprises américaines un contrat pour la construction de pipe-lines acheminant le pétrole de la Mer Caspienne vers l’océan Indien (via le Pakistan, province du Baloutchistan) que les talibans sont devenus « infréquentables », d’affreux « islamistes rétrogrades », marqués du sceau de l’infamie à l’échelle mondiale. La machine médiatique internationale se mettait en marche (cette avant-garde des troupes US et américanomorphes), disant là où était le bien, là où était le mal, ce qu’il fallait penser de la situation en Afghanistan, de la nécessité d’intervenir au plus tôt pour mettre fin à la barbarie, rétablir les Droits de l'Homme, etc.

























Belle photo de Massoud par le photographe iranien Reza.


Massoud et ses hommes étaient de pieux musulmans ; cependant, la rigueur de le Foi ne les amenait pas à imposer au monde entier ce en quoi ils croyaient. Toutefois ils entendaient défendre avec ténacité leur terre, leurs coutumes, leurs familles, leur liberté. C'est pourquoi ils auraient d'ailleurs refusé eux-aussi de signer ce contrat touchant aux pipe-lines s’ils avaient été au pouvoir. De plus, ils n’auraient pas accepté une seconde de voir leur pays occupé par des militaires Otaniens, essentiellement états-uniens.

Massoud a été assassiné le 9 septembre 2001. Peu d’échos médiatiques sur cet assassinat facilité par le Pakistan et ses Services. Cela n’arrangeait pas seulement Islamabad que Massoud fut éliminé, mais Washington également...

Il y a deux belles étoiles de plus au ciel depuis ce temps ; celles de deux poètes, Massoud et Christophe de Ponfilly. Elles doivent être proches l’une de l’autre… Nous ne les oublierons pas.





















Massoud et Christophe de Ponfilly

Notes :

[1] Christophe de Ponfilly s'est inspiré d'une histoire vraie. Massoud avait gardé un prisonnier russe avec lui un certain temps et il l'avait finalement libéré. Cependant, après avoir traversé la frontière afghane, alors qu'il était sur le territoire du Pakistan, ce russe fut tué. On peut voir d’ailleurs dans le générique de fin du film, quelques images de ce prisonnier alors avec Massoud, des images tirées d'un des documentaires de Christophe de Ponfilly.

[2] Cf. « La guerre selon Charlie Wilson » ; un film de Mike Nichols (2007).