1 avril 2011

De la nature des rebelles libyens

Alors que les opérations d’attaques se poursuivent sur la Libye, quelques éléments d’information nous sont donnés sur la nature des rebelles libyens notamment par un document américain relatif à la guerre d’Irak (1).

En 2007, West Point publiait un rapport sur plus de 700 jihadistes étrangers arrêtés en Irak et interrogés par les services spécialisés américains. Ce document recensait la qualité de ces combattants islamistes, avec leur nom, leur âge, leur fonction, leurs motivations, ainsi que d’autres éléments dont leur pays d’origine. Il résulte de cette étude et spécifiquement sur l’origine nationale des combattants, que les Libyens arrivent second, juste derrière les Saoudiens, en nombre de jihadistes actif sur le sol irakien. Qui plus est, ces libyens proviennent essentiellement de la province de Cyrénaïque d’où est partie la rébellion actuelle en Libye. Dans le corridor entre Benghazi et Tobrouk, apprend-t-on (2), se trouve la zone du monde fournissant le plus de jihadistes agissant en Irak par habitant ; plus précisément dans cette zone, la ville de Darnah (1 jihadiste pour 1000 à 1 500 habitants), dépasse même Riyad sur ce point.

Une fiche sur un des volontaires jihadistes libyens originaire de Darnah en Irak 

Par ailleurs, des liens existent bel et bien entre la rébellion actuelle en Libye et AQMI. Le rapport de West Point précise que des écoles de théologie et de politique fleurissent en Cyrénaïque et notamment dans les villes de Darnah et Benghazi, centres du mouvement. Un mouvement islamiste radical qui regroupait un certain nombre de ces militants islamistes, la Jamaah al-libiyah al-muqatilah (groupement de combattants islamistes libyens), est devenue officiellement le 3 novembre 2007, membre d’AQMI, Al Qaeda au Maghreb Islamique (3). Et il semblerait que plusieurs factions au sein de cette ancienne  Jamaah al-libiyah al-muqatilah veuillent aujourd’hui privilégier la lutte contre le pouvoir de Kadhafi plutôt que le combat en Irak (4). Sur la page internet officielle d’al-jahafal (où AQMI publie ses communiqués) ainsi que sur un autre site relais (http://www.ansar-alhaqq.net/forum/) figure d’ailleurs des appels au soulèvement contre Kadhafi. Il y a donc un lien clair et net entre la rébellion en cours en Libye et la mouvance islamiste la plus radicale qui soit (5).

AQMI

Néanmoins, cela n’a pas empêché les américains de vouloir fournir des armes à la rébellion, par l’Arabie Saoudite via Égypte « nouvelle et démocratique » ; ceci d’ailleurs, au passage, en violation de la résolution 1973 (art. 13 et sq.) du Conseil des Nations Unies, laquelle décrète un embargo total sur les armes en Libye (6). Ainsi, l’expérience afghane ne semble pas avoir été retenue par les États-Unis ; ces armes fournies aux combattants islamistes pouvant se retourner un jour ou l’autre contre les pourvoyeurs.

Autre élément d’appréciation sur la nature de la rébellion, l’élément tribal. Depuis toujours, la lutte tribale est féroce en Libye et elle est cruciale pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Dans le soulèvement en cours, à la pointe de la rébellion, les tribus majoritaires sont celles représentées par le conglomérat tribal des Harabis (regroupant Barasa, Ubaidat, Hassa, Drissa, Aulad-Hamad et d’autres). Ces derniers ont vu, par le passé, un certain nombre de leurs terres confisquées par Kadhafi, des terres qui furent redistribuées aux tribus plus loyales au pouvoir de Tripoli. De plus, des purges ont été effectuées dans l’armée libyenne dans les années 90, évinçant les membres de ces tribus des postes à responsabilités. Un lourd contentieux qui a nourri grandement la révolte actuelle.

On retrouve les membres de ces tribus Harabis en grand nombre au sein du Comité National de Transition (le CNT, dont deux membres furent reçus par l’Elysée). C’est entre autre le cas du Président du CNT, Mustafa Abdul Jalil, ancien ministre de la Justice et Colonel de l’armée de Kadhafi et d’Abdul Fatah Younis, coordinateur militaire de la rébellion, ancien ministre de l’intérieur et ancien Général ayant démissionné le 22 février 2011.
Un des chefs connus du CNT Libyen, Mustafa Abdul Jalil
Par ailleurs, sur les 31 membres qui composent le CNT, un certain nombre d’entre eux ne sont pas connus du public. Qui sont-ils ? Pourquoi ce secret sur leurs identités ? Officiellement leur nom est gardé secret « pour des raisons de sécurité » ; c’est une inconnue de taille car qui sait ce qui pourrait surgir de la nature exacte de ceux qui apparaitront au grand jour, le moment venu. Peut-être des cadres actuels de l’armée libyenne, de la haute administration de Kadhafi,  mais aussi, pourquoi pas, des responsables connus et répertoriés d’AQMI (7).

Bref, cette rébellion est plus que suspecte et il faut y réfléchir à deux fois avant de les soutenir de manière inconditionnelle. En France, le parti pris idéologique mêlé aux arrières pensées  électorales, voire sondagières (8), pourrait conduire au désastre tant on manque cruellement d’éléments sur la nature et les qualités réelles des chefs de la rébellion. Malheureusement la circonspection ne semble pas de mise à l’Elysée, ni l’intelligence des faits. Et quand bien même nos services spécialisés seraient renseignés plus avant sur la question, il n’est pas sûr qu’ils puissent se faire entendre tant l’aveuglement semble patent avec un "Bernard-Henri Libye" (BHL International)  aux commandes de la politique étrangère française. De surcroit, dans le circuit de l’information, les différents filtres existants (tant en interne aux Services, que dans les différents cabinets ministériels et présidentiels) sans compter sur la concurrence de notes et de rapports en provenance d’autres services d’information, font qu’il n’est pas sûr que les informations recueillies par les "capteurs" des Services spécialisés arrivent sur le bureau élyséen et soient ultérieurement exploités, participant ainsi - comme cela devrait normalement se faire - à l’élaboration d’une politique réfléchie.

Jusqu’à présent, la crise libyenne et l’attaque des forces armées de ce pays par la « coalition internationale » (9) puis finalement par l’OTAN, n’a montré que l’incohérence de la politique menée par les « occidentaux » (États-Unis et France en particulier mais aussi Grande-Bretagne) ; en effet, pourquoi combattre le « terrorisme » en Afghanistan, en Irak ainsi que dans le Sahel, pour l’aider militairement, matériellement en Libye contre Kadhafi.

N’oublions pas que la Libye recèle du pétrole et quand bien même il ne représente que 2% de la production mondiale, il est de bonne qualité et jusqu’à présent nationalisé par Kadhafi depuis 1969, date de son arrivée au pouvoir. C'est un des éléments pour saisir l'intervention certes, mais pas l'unique, tant il n'y a jamais d'explication monocausale dans un fait géopolitique.

Cette attaque contre le pouvoir de Kadhafi, à laquelle la France participe, ressemble un peu à la boîte de Pandore ; un grand nombre de maux s’y échapperont et nous en paierons malheureusement le prix. 


Consolation tout de même, restera dans la boîte... l’Espérance.

Notes :
(1) Joseph Felter et Brian Fishman, “Al Qa’ida’s Foreign Fighter in Iraq: A First Look at the Sinjar Records,” (West Point, NY: Harmony Project, Combating Terrorism Center, Department of Social Sciences, US Military Academy, December 2007).
(2) Cf. La transcription établie par le Combating Terrorism Center de West Point des fiches individuelles des jihadistes arrêtés <http://www.ctc.usma.edu/harmony/FF-Bios-Trans.pdf>
(3) après l’annonce par son « Emir », Abu Layth al-Libi.
(4) Daya Gamage, “Libyan rebellion has radical Islamist fervor: Benghazi link to Islamic militancy, U.S. Military Document Reveals,” Asian Tribune, 17 Mars 2011.
(5) Sur ce site, où l’on apprend que « Kadhafi est l'ennemi d'Allah », à la fin du communiqué on peut lire également le texte suivant : Ô barbare de Libye, la Libye toute entière te hait / Du haut de son minaret te maudit / Quand bien même tu achètes des hommes / Quand bien même Iblis et son armée te soutiennent / Va t'en! / Les armes des sionistes ne te seront d'aucune aide / Quand bien même tu tuerais des jeunes et des vieillards, des veuves et des affamés ! / Le peuple s'est juré de te déchoir !
(6) Cf. l’excellent article de Webster G. Tarpley “The CIA’s Libya Rebels: The Same Terrorists who Killed US, NATO Troops in Iraq”, sur son blog.
(7) Cf. l’article de  http://washington.blogs.liberation.fr/great_america/2011/03/al-qaïda-et-la-cia-en-libye.html
(8) Cf. l’article d’Anne Applebaum daté du 28 mars dernier sur le site américain Slate.com intitulé “Wag le Chien. Did French President Nicolas Sarkozy push the Libyan intervention to boost his re-election bid? ” et qui jauge les motifs réels de Nicolas Sarkozy dans cette affaire.
(9) Une coalition « internationale » curieuse, plutôt hétéroclite et faite de bric et de broc,  sachant que l’Union Africaine a condamné cette intervention et qu’elle ne regroupe en réalité qu’une petite poignée de pays (États-Unis, France, Grande Bretagne, et quelques un de la Ligue Arabe, dont le Bahreïn – grand pays démocratique, s’il en est).

Crédit photo :  
http://blackchristiannews.com/news/img-article---lamen-libya-jalil_224629570254.jpg

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