16 septembre 2011

Elections présidentielles de 2014 en Indonésie ; un candidat à suivre : Prabowo Subianto.

Dans la liste des candidats potentiels ayant de vraies chances de recueillir un grand nombre de bulletins d’électeurs, peu ont une stature sérieuse à même de rassembler massivement les électeurs et de passer le premier tour. A part Sri Mulyani Indrawati, dont nous parlions dans un précédent billet (http://philippe-raggi.blogspot.com/2011/08/sri-mulyani-future-presidente-de.html), se trouve une personne en mesure de s’opposer à elle, une personne bien connue du monde politique indonésien, à savoir : Prabowo Subianto.

Ecce homo

Prabowo est né à Jakarta le 17 octobre 1951, sous le signe astrologique chinois du Lapin. Il est dit que les personnes nées sous ce signe sont réputées avoir un talent pour les affaires, une aptitude en arithmétique et une acuité pour la spéculation.

Il est le fils d’un économiste reconnu et politicien dissident, le Professeur Sumitro Djojohadikusumo (1). Instruit en France et en Hollande, Sumitro avait détenu plusieurs postes ministériels sous le Président Sukarno, avant de quitter l’Indonésie avec toute sa famille fin 1957 pour avoir été accusé d’aider la rébellion de Sumatra. Cet exil volontaire dura 10 ans. Il était considéré tel un gourou en économie par nombre de technocrates indonésiens, ceux-là même qui modelèrent la politique économique sous l’Ordre nouveau de Suharto et qui contribuèrent au « miracle économique » jusqu’à la crise financière de 1997.

Prabowo Subianto a grandi à l’étranger, tant à Singapour qu’à Kuala Lumpur, Hong Kong, ainsi qu’à Zürich et en Grande-Bretagne. Il est revenu en Indonésie avec sa famille en 1968 ; il a du à cette occasion quasiment réapprendre sa propre langue.


Ancien militaire, aujourd'hui homme d'affaires et engagé en politique, Prabowo a une ambition et des idées pour son pays. 
La famille Subianto au temps de l'exil (Prabowo debout, au milieu)

Les élections présidentielles de 2014

Prabowo a déjà été candidat lors des élections présidentielles de 2009 ; cependant, pour différentes raisons - touchant notamment à sa stratégie d’alliance avec d’autres partis politiques - ce fut une tentative infructueuse. Pour 2014, Prabowo Subianto aura cette fois « une fenêtre de tir » beaucoup plus certaine. En effet, malgré quelques points « négatifs » notables, sa personnalité forte, ce qu’il incarne pour les indonésiens, son travail en profondeur effectué ces dix dernières années, le soutien populaire dont il bénéficie, tous ces éléments font qu’il faudra regarder attentivement sa candidature et sa trajectoire électorale. Par ailleurs, peu de candidats présidentiables de stature nationale peuvent lui porter préjudice.

Derrière lui, Prabowo a un parti politique, le Gerindra (Gerakan Indonesia Raya), le Mouvement pour une Grande Indonésie. Né le 6 février 2008, c’est un parti jeune, mais qui a désormais assez d’expérience accroitre son audience. Le Gerindra compte quinze millions d’adhérents et il a 26 sièges au parlement suite aux élections législatives de 2009. Il est implanté dans toutes les provinces de l’Indonésie ; mieux apprécié dans les zones rurales qu’en zones urbaines, il attire plutôt les électeurs des classes pauvres et moyennes, les petits exploitants, les ouvriers et les artisans.

Dans la symbolique, l’on note sur le logo du parti plusieurs éléments : l’oiseau Garuda et le pentagone rouge. Oiseau mythique présent dans la mythologie hindouiste et bouddhiste (c’est la monture de Vishnou), présent dans les armes de la République d’Indonésie, Garuda est ostensiblement le signe du nationalisme indonésien. Le pentagone est, lui, un « marqueur » lisible par tous les indonésiens (c’est le macaron de l’armée). Quant à la couleur rouge, elle tranche volontairement d’avec le vert et le jaune, respectivement des partis « musulmans » et des partis historiques tels le Golkar, voire du bleu du Parti Démocrate au pouvoir. Le rouge est la couleur du peuple, tout en étant une des composantes du drapeau national. La couleur orange, quant à elle, est en quelque sorte la couleur de la voie alternative (2).

Les « ombres » sur le portrait

Pour ne pas édulcorer le portrait de cet homme d’envergure, l’on ne peut faire l’impasse - même succinctement - sur les points « négatifs » de sa candidature.

Pour l’un d’entre eux, c’est le rôle qu’il joué dans la guerre au Timor ; Prabowo Subianto est un ancien Général de l’armée indonésienne. Mais quand bien même il fut inquiété par des ONG humanitaires pour son rôle dans des exactions commises lors du conflit, cela n’est pas en mesure d’entacher son crédit électoral. Ce genre d’argument ayant en effet un écho inversement proportionnel dans les chancelleries, les ONG et autres instances que dans l’électorat de base en Indonésie. Le conflit au Timor ayant été une cause « nationale », l’action menée par l’armée indonésienne (TNI) défendant l’intégrité du territoire, si des exactions ont pu être commises par les soldats, les indonésiens dans leur grande majorité ne sont pas critiques vis-à-vis des personnes pointées du doigt par les ONG humanitaires (Amnesty International, etc.).

Toujours comme soldat, il est par ailleurs « marqué » pour ses agissements lors des événements de 1998, lors des émeutes de Jakarta, au derniers temps du régime Suharto ; émeutes au cours desquelles des activistes politiques ont disparus (3). Son unité spéciale ayant pris part à la répression des émeutiers, Prabowo porte personnellement la responsabilité de ces exactions. Pour ces affaires, il fut entendu entre le 3 et le 21 août 1998, dans le cadre d’une enquête menée par la Cours d’Honneur Militaire (DKP), puis démissionné des forces armées indonésiennes le 24 août 1998. Ce point est le seul « réellement » négatif de Prabowo pour sa candidature électorale de 2014. En effet, parmi les jeunes étudiants, Prabowo représente la figure emblématique de la répression ; ces étudiants sont aujourd’hui dans la vie active, en pleine force de l’âge, vers le sommet de leurs carrières respectives tant dans le monde universitaire que dans la société civile dans son ensemble.


Autre point « négatif », le fait qu'en tant qu'homme d'affaires, Prabowo n'a pas daigné voulu répondre aux attaques issues des défenseurs de l'environnement et relatives à la pollution générée par une de ses sociétés minières. Force est de constater qu'à ce jour, Prabowo n'est pas inquiété outre mesure par la justice, alors que les éléments sont pourtant probants. Cette impunité et ce mépris des "victimes" choquent à juste titre un nombre certain d'indonésiens. 
Prabowo patriote

Un autre élément « négatif » pourrait être ses liens avec la famille de l’ancien Président, le Général Suharto. Prabowo est en effet le gendre de Suharto (aujourd’hui décédé). Il est marié à Siti Hediati Harijadi (dit Titiek), fille de Suharto (4). On se souvient que Suharto quitta le pouvoir après la crise financière puis économique qui toucha les pays asiatiques et particulièrement l’Indonésie. Le pouvoir autoritaire de Suharto (resté 33 ans à la présidence, tout de même) avait fatigué les indonésiens et son départ fut un soulagement pour la majorité d’entre eux. Néanmoins ce point « négatif » pourrait être en fait un point « positif » tant la situation générale (économique surtout) de l’après-1998 et le développement de la démocratie n’ont pas comblé les espérances, ni satisfait toutes les attentes. Ainsi, l’ère Suharto est-elle aujourd’hui auréolée d’une certaine nostalgie (le "syndrome Soeharto") chez un nombre croissant d’indonésiens n’ayant pas vu leur situation s’améliorer, ni celle du pays d’ailleurs dans un certain nombre de domaine (corruption, collusion, népotisme ; les mêmes tares dénoncées d'ailleurs sous l’ancien régime autoritaire, par l'acronyme KKN - Kolusi, Korupsi, Nepotism).

Les atouts

Mais abordons les atouts qui renforcent sa candidature. Premier élément jouant en sa faveur, le fait qu’il soit un ancien Général de l’armée indonésienne (5). Ayant passé une grande partie de son service actif au sein des unités d’élites de l’Armée de Terre, pour une grande partie des indonésiens, ce parcours est un atout. Un ancien Général est gage de fermeté, de droiture, d’autorité ; autant de qualités appréciées et souhaitées chez un candidat à la magistrature suprême. L’actuel Président de l’Indonésie, Susilo Bambang Yudhoyono, est d’ailleurs lui-même un ancien Général, accomplissant aujourd’hui son second et dernier mandat (6). Prabowo jouit encore aujourd’hui d’une côte favorable auprès des militaires ; le souvenir qu’il a laissé dans les unités dans lesquelles il est passé, est excellent, tant il se préoccupait de ses soldats, de leur bien être, de leurs familles (salaires, conditions matérielles, dons de terres, etc.).

Autre point en faveur de Prabowo, le fait qu’après l’armée, il soit devenu un homme d’affaire talentueux, reconnu et à l’envergure financière non négligeable - un de ses fleurons étant la société Nusantara Energi. Certes, ses affaires et le succès qu’il rencontra dans celles-ci n’est pas sans rapport avec les réseaux de la famille Suharto ; néanmoins, Prabowo est aujourd’hui un homme de poids. Par le biais de nombreux conglomérats qu’il contrôle directement ou non (7), il est présent dans de multiples secteurs d’activités, dont l’énergie (pétrole, charbon) mais aussi dans l’industrie traditionnelle, la manufacture et la construction.
Prabowo populaire

Son réseau international est également à prendre en compte pour juger de sa candidature, tant il pèse en sa faveur. Aussi bien durant son service actif dans l’armée indonésienne qu’après, Prabowo a crée et développé des liens avec des personnalités de haut niveau du monde entier. C’est un ami personnel du Prince Abdallah de Jordanie (pays dans lequel il a des intérêts économiques et dont il est « citoyen d’Honneur »), il a des liens solides avec de nombreux hommes d’affaires éminents et influents tant aux Etats-Unis, qu’en Allemagne, mais également dans les pays d’Asie centrale, en Corée du Sud, en Birmanie et au Cambodge.

Enfin, depuis une dizaine d’années, Prabowo s’est implanté dans le monde de la production agricole, devenant assez rapidement Président de l’Union des Fermiers Indonésiens (HKTI). Un poste qu’il occupe avec sérieux et implication. Compte-tenu du fait que la majorité de la population indonésienne est encore rurale ou a des attaches très fortes avec le monde rural et les paysans - et quand bien même si d’aucuns ont vu des arrières pensées politiques dans cette préoccupation - Prabowo a acquis une réputation solide d’homme se souciant réellement du sort du peuple, du petit peuple même (Wong Cilik).
Mais comment caractériser son orientation politique ? Face à des candidats à la présidence indonésienne plutôt d’orientation libérale, voire mondialiste marquée, Prabowo apparaît plutôt comme le candidat à la fois « social » et « national » : défendant les intérêts du peuple indonésien dans son ensemble, avec une attention pour les plus démunis d’entre eux, défendant aussi le patriotisme, le nationalisme même, l’intégrité du territoire et la stabilité (politique, économique, sociale). Cette dernière notion, stabil en indonésien, est fondamentale dans cet archipel du Sud-Est asiatique. On peut dire que Prabowo incarne parfaitement - plus que tout autre candidat peut-être - cette notion qui est une valeur essentielle chez les indonésiens.
Prabowo officiel

Reste à savoir si la politique d’alliance qu’il mettra en place, et notamment avec le PDI-P (le parti démocratique indonésien de lutte) de Megawati Sukarnoputri, sera cette fois fructueuse. Les coalitions sont immanquables pour ces élections et c’est une stratégie qu’il convient de mener avec finesse ; il faut rassembler sans se disperser. Dilemme bien connu sous toutes les latitudes. Dans cette course des présidentielles, Prabowo aura des concurrents de poids, tel le Golkar (ancien parti de l’ère Suharto), le Partai Demokrat (de l’actuel Président Yudhoyono) et le PDI-P (de l’ancienne présidente Megawati Sukarnoputri) (8).

Conclusion

Si ce petit portrait tend à souligner l’importance d’un des candidats aux prochaines élections présidentielles de 2014 en Indonésie, il cherche également à mettre l’accent sur le pays lui-même, peu connu de la majorité des français ; un pays qui est un géant démographique, géographique et géostratégique. 


Il n’est point négligeable de s’arrêter sur le sort de ce pays, lequel compte le plus grand nombre de musulmans au monde. Face à la Chine, l’Indonésie est aussi l’autre pays qui compte et va compter dans les années à venir, ceci en raison de ses potentialités de toutes natures. Si l’on parle depuis quelques années de l’importance des BRIC, l’Indonésie peut assurément aujourd’hui y ajouter son initiale ; et si d’une part les BRIC +« I » modifient les équilibres jusqu’à lors existants, le centre de gravité géopolitique, d’autre part, s’est, lui, déplacé manifestement vers l’Asie-Pacifique, l’Indonésie en étant le flanc Sud. 


C’est dire si les élections présidentielles dans ce pays devront être suivies avec attention et donc, par voie de conséquence, les candidats ayant le plus de chance de les gagner. La stabilité de l’Indonésie mais également les équilibres régionaux sont en jeux ; dès lors, pour peu que l’on ait le « souci géopolitique », l’on ne peut faire l’impasse sur ce qui se déroule dans ce grand archipel.

Notes :
(1) Le Professeur Sumitro est décédé à 83 ans, le 10 mars 2001.
(2) La couleur orange est celle également utilisée par un autre parti politique qui se veut lui aussi « populaire », le Hanura Partai de l’ex-Général Wiranto ; un parti rival, de même tendance. On peut visiter le site internet du parti à cette adresse : http://www.partaigerindra.or.id/
(3) Lors des émeutes du 12 au 14 mai 1998, les forces fidèles au Général Subianto, mais aussi d’autres éléments de la TNI, ont été impliquées. Ces émeutes ont faits de nombreuses victimes ; à ces exactions, faut-il ajouter les cas de kidnappings, de tortures et d’assassinats de dissidents politiques au cours du premier semestre 1998. Impliqué dans le cadre de ces affaires ainsi que pour répression sur des étudiants anti-Suharto de l’Université de Trisakti en 1998, Prabowo fut mis "sur la touche", essentiellement par l’action de son grand rival, le Général Wiranto - alors en pleine ascension. Prabowo avoua seulement avoir enlevé neuf activistes.
(4) Titiek, sa femme, est née en 1959. Le couple marié en 1983 est apparemment aujourd’hui séparé.
(5) Diplômé de l’Académie Nationale Militaire (AKABRI) de Magelang en 1974, son dernier grade fut celui de Lieutenant Général ; il a atteint ses trois étoiles à 47 ans. Il a passé plusieurs années au sein du Kostrad (le Commandement des Réserves Stratégiques) et du Kopassus (Forces Spéciales de l’Armée de Terre).
(6) De par la Constitution, Yudhoyono ne peut se représenter une troisième fois.
(7) Sa femme est aussi, si ce n’est plus, influente que lui dans le monde économique et des affaires. La famille Subianto possède des intérêts dans plus de sept banques privées indonésiennes, faisant d’elle une des premières « banking family » après les Suharto.
(8) A ces « gros » partis, il faut compter sur les « petits partis », tels le PKB, le PBB, le PKS, etc., sans oublier les petits nouveaux venus ; leur nombre est au environ de trois (dont le SRI de Sri Mulyani Indrawati), si l’on s’en tient aux dernières annonces du ministère en charge d’enregistrer les nouveaux partis politiques.


Iconographies :
Prabowo et sa famille en 1963 :
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Prabowo patriote (association des anciens de la TNI) :
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Prabowo populaire : http://www.abc.net.au/reslib/200903/r353511_1623901.jpg
Prabowo photo officielle :
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