14 mars 2012

Pierre Schoendoerffer : un homme de vérité

 Nous sommes à Cannes, le 17 mai 2010, il est presque midi... (un clin d'œil à La 317ème section)

Ci-dessous, un article que j'avais fait paraître il y a quelques années maintenant.

L’année 2003 aura été un bon cru pour les admirateurs de l’œuvre pluridisciplinaire de Pierre Schoendoerffer ; ainsi ce n’est pas moins d’un roman et d’un film dont le réalisateur-écrivain de « La 317ème section » et du « Crabe-tambour » nous a gratifié.

En mars tout d’abord sortait « L’aile du papillon » (Ed. Grasset, 280p.), un roman de facture typiquement schoendoerfferienne, avec temps et contre-temps, récits à plusieurs voix, rencontres qui esquissent, en fin de compte, la réalité et la complexité de l’âme humaine, tout cela autour d’un événement tragico-maritime.

De nos jours, durant une course en solitaire, suite à la rupture d’une manille « à cinquante balles », un jeune marin, Roscanvel, se trouve entraîné dans une suite d’événements dramatiques. Tout commence par une collision avec un navire marchand, puis la montée à bord de ce navire « poubelle » à l’équipage composé d’un Commandant douteux, de marins traîne-misères de plusieurs pays, c’est enfin la découverte d’une autre vie ... Puis c’est l’incident, l’enchaînement arithmétique du désastre, le grain de sable dans toute la mécanique qui conduiront finalement Roscanvel à être condamné pour … mutinerie et meurtre. Qu’a fait exactement Roscanvel ? le jeune marin sera-t-il condamné ? le livre contant son aventure verra-t-il le jour et sous quelle forme ? le narrateur-écrivain et son filleul de marin seront-ils vraiment toujours les mêmes après cette aventure ? Une histoire d’honneur et de fidélité dans la plus pure tradition des Conrad, Stevenson, Melville et autres sondeurs de l’âme humaine.

Deux voix dans ce récit, deux natures, deux âges aussi : Roscanvel, le marin d’exception, ingénieur brillant, fougueux, têtu – comme un breton – , et le narrateur, plus âgé, ancien légionnaire, ancien d’Indochine, écrivain quelque peu désabusé, aimant bien l’aventure mais aussi les bars bretons et leurs breuvages. Cela nous donne d’ailleurs quelques pages superbes d’envolées lyriques, comme par exemple la description « marine » du bar Le Cap Horn, avec Jenny son attachante tenancière - « un grand Capitaine » - et ses clients, cariatides de comptoir, frères de misère, fidèles à on ne sait quoi mais « qui doit exister », d’aucuns à « visages de souque-misères », à l’air « absents et vague de pré-salés au pâturage », « la vodka aidant, le lait de la tendresse humaine coulera bientôt dans leurs veines ». Mais tous ne sont pas rentrés dans le rang…

Roscanvel charge donc son aîné d’écrire son histoire ; ceci sera le prétexte à un échange, fructueux et révélateur, entre les deux hommes, soulignant la question de l’interprétation des faits, de leur éclairage et en définitive de leur réalité « objective » car celui qui écrit n’est pas celui qui a vécu les événements. Il y a celui qui relate, verbalement, ce qui lui est arrivé et celui qui écrit, qui fait exister sur du papier des « choses » arrivées à un autre ; mais écrire c’est aussi juger. Nous sommes là dans une logique parfaitement conradienne du récit à multiples voix/voies, de constructions signifiantes et à la structure narrative magistralement exposée.

Grâce à ce dia-logue, au fur et à mesure des faits et des contradictions apparentes ou non, volontaires ou non, nous approchons l’humanité de l’homme, sa grandeur mais aussi son horreur ; « cette turbulente et déraisonnable humanité »…

Les schoendoerfferiens retrouveront dans ce roman des accents de ce qu’ils ont aimé par le passé dans l’œuvre de l’académicien (évocations de contrées ultra-marines, personnages bien campés et attachants, la confrontation de l’homme à la fatalité, le dépassement de soi, etc.) mais les lecteurs nouveaux y trouveront ironie, inquiétude métaphysique, lyrisme, le tout exprimée dans une langue de marin : claire, juste, vraie dirait-on. Voilà le premier beau cadeau que nous a offert Pierre Schoendoerffer avec son roman.

Le 1er juillet 2003, enfin, quelques privilégiés ont pu voir en première mondiale dans le cadre prestigieux de l’École Militaire, en présence de toute l’équipe du tournage et des acteurs, la projection du dernier film de Pierre Schoendoerffer. Tiré de son avant dernier roman éponyme intitulé Là-haut, ce film, là encore - davantage peut-être que dans « L’aile du papillon » - nous fait retrouver le « monde schoendoefferien ». Y jouent de grands acteurs français avec lesquels le réalisateur a déjà travaillé, tels Bruno Cremer, Jacques Perrin, Claude Rich, Jacques Dufilho, ainsi qu’une figure comme Patrick Chauvel, rapporteur de guerre mondialement reconnu (1). Nous y retrouvons des thèmes chers à l’écrivain-cinéaste : l’amitié, les Armes (avec un A majuscule), l’honneur, la fidélité à la parole donnée.

Le film nous relate une histoire peu commune. Henri Lanvern, un cinéaste, tourne un film dans les hautes régions de la Thaïlande, non loin du Laos ; nous sommes en juillet 1978. Un soir, à la fin du tournage, Lanvern réuni son équipe et annonce qu’il part trois jours en repérages. Il disparaît. En fait, il est parti à la recherche d’un vieil ami de guerre, le Général Cao Ba Ky, évadé d’un camp de rééducation du Pathet lao (communiste laotien).

Rentré sur Paris, l’équipe de Lanvern apprend par les médias que ce dernier a été fait prisonnier par les laotiens de Vientiane et qu’il va être jugé comme « espion impérialiste » ! Il risque la mort.

Qui est ce Lanvern ? Pourquoi a-t-il déserté son film ? Comment a t-il été capturé au Laos ? Une jeune journaliste (Florence Darrel, une nouvelle dans le monde de Schoendoerffer) part à la rencontre du disparu en enquêtant auprès des proches du cinéaste. La personnalité de Lanvern se découvre peu à peu, l’investigation dévoile les secrets des uns et des autres, la jeune journaliste apprend à connaître celui qu’elle n’a jamais vu ni rencontré. 

Mais au cours de ses recherches, la journaliste ne rencontrera pas seulement des personnages riches et hauts en couleur, elle découvrira un monde qu’elle ne connaît pas : l’Indochine, la guerre, la camaraderie, la fidélité à la parole donnée, le monde de ceux qui peuvent dire de Lanvern : «c’était un des nôtres», tels que le disent les personnages de Joseph Conrad dans la quasi totalité des romans et nouvelles (les fameux Conway boys).

Ce film - qui devrait sortir en salle dès qu’un distributeur sera trouvé - ravira les affidés de Schoendoerffer et peut-être moins les non-initiés, tant nous sommes dans une œuvre faite de signes de reconnaissance, de connivence (personnages, mots, extraits des films personnels et professionnels de l’auteur, etc.). Un petit goût amer toutefois en descendant les marches de l’amphithéâtre de l’École Militaire. Pensif, en nous dirigeant vers la salle du cocktail - offert par le Général de Corps d’Armée Marcel Valentin, Gouverneur Militaire de Paris - le film Là-haut nous apparaissait un peu comme un film testament, une œuvre faisant boucle dans la production de Pierre Schoendoerffer. Mais, le « quart » militaire en main (perçu réglementairement à l’entrée de la salle) et les spiritueux aidant, cette amertume laissa finalement place non seulement à la joie d’avoir vu un film nous ayant arraché à un quotidien déliquescent pour nous emmener vers des terres idéales, mais encore au plaisir de discuter avec les acteurs et surtout avec l’enchanteur académicien français.

Notes : 
(1) « Rapporteur de guerre », Oh ! Editions, mai 2003, 297 p. Patrick Chauvel fait aussi partie de la « famille Schoendoerffer » ; il est également photographe de plateau de tous les derniers films du cinéaste.

Iconographie :
http://galeriedephotos.moncinema.com/NF-B-mc-3-2252-30672/tapis-rouge/cannes-2010-jour-6-17-mai/lundi-17-mai/

Pierre Scoendoerffer, in memoriam (1928-2012)

« Il disait en tout cas la vérité, la vérité libérée des oripeaux du temps. Que l’imbécile s’effare et frissonne ; l’homme digne de ce nom admet ces choses et peut les contempler sans sourciller (…) Pour affronter cette vérité il a besoin de tout ce qu’il y a d’authentique en lui, de toute sa force innée. (…) il faut une foi délibérée ».         

Joseph Conrad, Le cœur des ténèbres, chap.3.

Les amis de Pierre Schoendoerffer – « Schoen », comme l’appellaient ses intimes – sont bien tristes aujourd’hui 14 mars 2012. L'Académicien, le grand cinéaste et romancier nous a quitté.

Un homme de sensibilité et de retenue...

Peu de cinéastes, comme Pierre Schoendoerffer, ont si bien restitué l’histoire récente de notre pays, précisément depuis 1945. En quelques films, il a donné aux spectateurs, il a offert pourrait-on dire, une vision esthétique sur la guerre et les hommes de guerre ; toujours en partant du singulier pour atteindre l’universel, il a tracé une œuvre unique, non seulement en servant de modèle à nombre d’autres cinéastes – français et étrangers – mais aussi en laissant dans les toutes les mémoires, des modèles d’humanité.

Néanmoins, petite consolation, nous pourrons toujours renouer avec le plaisir de (re)voir ou de (re)lire ses œuvres. La dernière en date, nous fut livrée le 5 mai 2004, quarante-huit heures avant la célébration du cinquantenaire de la chute de Dien Bien Phu, avec la sortie du film : « Là-haut ».

Depuis 2002 ce film était terminé, mais il fut difficile pour « Schoen » de trouver un diffuseur. « Là-haut » est tiré d’un des derniers romans de celui qui est aussi écrivain, rappelons-le, avec plus de cinq romans-récits, presque tous récompensés par de vraies instances littéraires françaises telle l’Académie Française.

Que relate « Là-haut » ? Nous sommes en 1975, une équipe de cinéma est sur les hauts plateaux de Thaïlande, pour tourner des plans d’un film intitulé « Un Roi au dessus des nuages ». Un jour, le cinéaste, Pierre Lanvern (Jacques Perrin), annonce à son équipe qu’il part, seul, en repérage pour trois jours. Il disparaît sans aucunes traces. L’équipe repart en France, le film est arrêté. Causant tout autant le désarroi et la stupéfaction que la colère et l’indignation, cette disparition va conduire une jeune journaliste (Florence Darrel) à enquêter sur cet homme « pas vraiment comme les autres ». On apprend vite que le cinéaste a été arrêté par le régime communiste Laotien et qu’il est menacé de la peine de mort pour espionnage : en fait de repérages, Lanvern est allé vers la frontière Lao pour participer à la fuite de son ami, un prisonnier laotien, le Général Cao Ba Ky, ancien soldat de l’Armée Française, bête noire des marxistes de Vientiane.

Enquêtant en France, la journaliste rencontrera ceux qui ont connu Pierre Lanvern, à commencer par celui qui dirige le journal où elle travaille (Claude Rich). Au fur et à mesure que son enquête progresse, la journaliste rencontrera – souvent de manière moins volontaire qu’elle ne le croit – la plupart de ceux qui ont connu Lanvern. Ainsi, peu à peu, elle découvrira – tout comme nous spectateurs – l’itinéraire et l’histoire de cet homme à présent menacé de la peine capitale dans un pays à dix mille kilomètres de là. Par son enquête, la jeune femme va pénétrer plusieurs « cercles » composés d’anciens militaires, de cinéastes, de membres des services secrets (Bruno Cremer), tout un monde dont elle ignorait jusqu’à lors l’existence. Parfois manipulée ou seulement « conduite gentiment », la naïve journaliste découvrira par facettes le disparu, en empruntant les traces de Pierre Lanvern, de sa douce adolescence bretonne aux fureurs de la guerre d’Indochine.

Mais ce n’est pas seulement une banale enquête historique que la jeune journaliste entreprend : celui qu’elle cherche à découvrir est au même moment entre la vie et la mort ! Il y a donc une tension supplémentaire puisque le sort de Lanvern se joue alors même qu’elle dévoile le cinéaste dans sa complexité d’homme aux multiples facettes (reporter, cinéaste et espion ?). La journaliste finira-t-elle son enquête ? Lanvern sera-t-il sauvé ? Laissons aux spectateurs le plaisir de le découvrir.

Dans « Là-haut », Schoendoerffer nous conduit de témoignage en témoignage vers des « territoires » qu’il affectionne : l’Asie, les hauts plateaux indochinois mais aussi la guerre, les hommes d’Armes, l’honneur et la fidélité.

Un film de Schoendoerffer est toujours un événement. Avec seulement quelques uns, il a marqué l’esprit de plusieurs générations de français, ravivant la mémoire de notre passé colonial et la grandeur de celui-ci. « Schoen » ne regarde pas ce passé avec des lunettes idéologiques : il nous montre ce qu’il a connu, avec simplicité, authenticité ; il nous parle de la guerre et de l’humaine grandeur de personnages rencontrés.

« Schoen » sait de quoi il parle, lui. A un peu plus de vingt ans, il est en « Indo », volontaire comme reporter pour le service cinématographique des armées. Il partage le quotidien des hommes engagés dans une lutte âpre pour la sauvegarde de l’Empire ; il sera fait prisonnier à Dien Bien Phu, subira les affres de la captivité dans les camps Viets-Minhs. En Indochine, il découvre l’humanité de l’homme engagé dans des situations extrêmes. Mais ce n’est pas une aventure individualiste qu’il entreprend là ; non, il filme, il grave sur la pellicule ce qu’il voit. Il y a le souci de relater, de faire partager ce qu’il a vu, connu. Il veut témoigner. Au sens étymologique, c'est un martyr de l'Indochine... Cette guerre fut à la fois marquante et révélatrice pour lui ; elle l'a révélé à lui même, comme se révèle un film dans son bain chimique. L'homme n'est plus le même ; il a grandi, il a mûri, il est plus profond.

Témoigner, « Schoen » le fera avec maestria ; et quand il témoigne, il sert. "Servir est le plus beau mot de la langue que je connaisse" disait un Barrès. Schoendoerffer le fera d’abord avec des reportages : avec les français, jusqu’en 1954, au travers de courts métrages officiels sur la guerre d’Indochine ; puis avec les américains, engagés eux-mêmes dans le conflit du Sud-Est asiatique qui est devenu la guerre du Vietnam (La Section Anderson).

Mais Pierre Schoendoerffer aime aussi la fiction. Grand lecteur et admirateur de Pierre Loti, il adaptera deux de ses romans, « Ramuntcho » tout d’abord, puis « Pêcheur d’Islande » en 1959, avec Jean-Claude Pascal et Charles Vanel. Le cinéaste a malheureusement été conduit à « trahir » quelque peu le roman en donnant une fin heureuse au film ; alors que dans le livre nous apprenons que « (…) par une nuit d’août, au large de la sombre Islande, furent célébrés ses noces avec la mer », dans le film, Yann revient et retrouve les siens. Ayant posé un jour la question au cinéaste, il m’a répondu que des contraintes émanant de la production l’avait conduit à modifier la fin écrite par Loti et contrevenir à ses souhaits d’être fidèle à l’œuvre originale. Schoendoerffer en était lui-même meurtri, désolé de cet « écart ».

Poursuivant dans la fiction, « Schoen » adapte bientôt, en 1965, son roman « La 317ème Section » ; ce sera un succès. Caméra à l’épaule, suivant jour après jour une petite section perdue dans la jungle souvent détrempées par les pluies de la mousson, le film a l’impact du documentaire authentique ; sans effets spéciaux (qui dans les films actuels font souvent office de scénario), sans moyens extraordinaires, c’est la réalité de la guerre d’Indochine que nous découvrons, brute, vraie : « Moi, j’l’aime bien c’pays. A c’dernier séjour au lieu d’vingt-sept mois, j’ai réussi à en tirer trente-trois, et j’ai aucune envie de rentrer en France ! », lance l'Adjudant Willsdorff au jeune Sous-Lieutenant Torrens.

Il fera une autre œuvre de fiction, assez peu connue malheureusement, avec en 1966 le film « Objectif 500 millions ». Une histoire de soldats perdus, de camaraderie, de fidélité et toujours de panache. L’acteur principal du film, le Capitaine Richau (ex-officier parachutiste, passé par les prisons de la république pour engagement OAS) est joué par Bruno Cremer, un autre disparu, une autre figure, une « gueule » du cinéma français. Tel un héros de Kipling, à un moment, le personnage principal du film lance : « Il n’y a que trois métiers pour un homme : Roi, poète ou Capitaine ; malheureusement, je ne suis pas poète… ». Il y a de la tragédie dans tous les films de Schoendoerffer, c’est d’ailleurs vraisemblablement un des fils rouges de son œuvre, celui qui révèle son classicisme, son universalité.

Quelques années plus tard, un autre film parlera d’Indochine mais aussi d’Algérie : « Le Crabe-Tambour », en 1977. Inspiré librement de la vie du regretté Lieutenant de Vaisseau Pierre Guillaume (son ami), « Schoen » nous parle de l’itinéraire d’un homme d’honneur, depuis les rizières tonkinoises jusqu’aux grands bancs non loin de terre-neuve, en passant par les geôles de la république (pour cause de fidélité à la parole donnée), sans oublier le départ de l’Indochine, à la voile, en solitaire sur une jonque : « Il faudra un jour quitter l’Indochine : quatre mois de mer ; après ça ira mieux », rappelle le médecin-capitaine évoquant la figure du Crabe-Tambour.

Puis, en 1982, viendra un film entièrement sur l’Algérie : « L’honneur d’un Capitaine ». Une veuve de guerre cherche à défendre la mémoire et l’honneur de son mari, tué dans le Djebel, accusé par un universitaire partisans, sur un plateau de télévision, de forfaiture et de torture. Mais de fait ce n’est pas seulement un homme qui est accusé, c’est l’Armée Française. Là encore, « Schoen », avec tact et justesse, relèvera le gant et livrera sa vérité, renvoyant les accusateurs à leurs fantasmes : « Torture, torture, vous n’avez que ce mot à la bouche ! A vous écouter en Algérie, l’armée française n’aurait fait que torturer », dit à la fin du film l'ex-Commandant Guilloux, excédé, lui-aussi passé par Fresnes.

Une illustration de la fidélité du réalisateur nous est donnée en 1989, avec Réminiscence, un documentaire. S'envolant vers les Etats-Unis, Pierre Schoendoerffer tente de retrouver les membres de la Section Anderson, vingt ans après... Au son de la septième symphonie de Beethoven (2ème mouvement - Allegretto), l'avion décolle pour le nouveau continent  ; en voix off, Schoendoerffer nous dit qu'il part retrouver ses "camarades, ses frères, ses amis"... Grâce à un énorme travail d'enquête, le cinéaste retrouve un certain nombre de survivants et les fait se retrouver autour de leur chef de section, Joseph B; Anderson Jr., alors cadre supérieur chez General Motors à Détroit (Michigan). Dans ce documentaire, Schoendoerffer met à l’œuvre ce qu'il affectionne particulièrement, ce qui l'intriguait en fait : l'impact de la guerre sur les hommes. Nous y voyons ces anciens GIs de la 1st Air Cav', pendant et après le conflit, et les scories de la guerre, les marques indélébiles qu'elle laisse, le creuset qu'elle fut, cette main de fer qui détruit mais aussi révèle les hommes ; en témoignent ces émouvantes retrouvailles entre les anciens membres de la section, autour de leur ancien chef de section, qui était vingt ans auparavant un jeune officier de 24 ans ("un Officier et un gentleman", comme il l'est dit dans le documentaire), un des premiers officier noir sorti brillamment en 1965, de West Point, l'équivalent américain de notre École Polytechnique et de Saint-Cyr. Une belle fresque sur l'homme et la guerre, un témoignage sur le temps qui passe, un beau documentaire sur la camaraderie, celle qui se forge dans le sang et la boue, celle qui demeure à jamais. 

Trois ans plus tard, « Schoen » sortait « Dien Bien Phu ». Avec des moyens qu’il n’avait jamais eu jusqu’à lors, le cinéaste reconstituait au Vietnam, avec l’aide des Vietnamiens, une bataille historique, la bataille ultime, celle qui restera dans les mémoires françaises comme Camerone dans celles des Légionnaires et de leurs amis. Souffrances, abnégation, courage, panache, nous trouvons dans ce film un véritable bréviaire des valeurs nobles, celles qui font la grandeur des nations et l’admiration de tous. Par delà la défaite de la garnison de Dien Bien Phu, l'incurie politique, malgré la tonalité « sombre » de ce film, sur une musique superbe de Georges Delerue, reste le souvenir d’hommes et de femmes admirables qui nous manquent tant aujourd’hui (je pense ici au Colonel Jean Sassi, ou encore au Commandant Pierre Guillaume, entre autres personnes). « Est-ce le châtiment Dieu sévère ? » entend-t-on au final, en voix-off (c’est d’ailleurs Schoendoerffer lui-même qui parle), alors que passent les colonnes de prisonniers se dirigeant vers les camps de la mort lente.

Avec sa dernière œuvre cinématographique, « Là-haut », les spectateurs retrouvent ce monde de Schoendoerffer.  Dans ce film, de multiples « flash-back » sont l’occasion de voir des extraits de toutes les œuvres du cinéaste, aussi bien ses reportages de guerre que ses films de fiction ou même personnels. Pierre Schoendoerffer semble alors boucler la boucle, clore, semble-t-il, le chapitre de l’Indochine et de l’Algérie. Il fallait peut-être cinquante ans pour pouvoir le faire. Il n’en demeure pas moins que tous ses films resteront dans les mémoires, et qu’ils serviront à restaurer une autre vérité, à sauver la dignité de ceux qui ont combattu pour l'Empire d'abord, puis pour l'Union Française ensuite.

Adieu Monsieur Schoendoerffer ; vous étiez unique et vos talents artistiques nous ont réchauffé le cœur, élevé nos esprits, nourri nos mémoires. Notre dette à votre égard est immense. Un grand merci pour ce que vous nous avez offert le long de votre vie au travers de toutes vos œuvres.

Nous pensons ici à sa famille, à ses proches, et nous leur adressons toutes nos condoléances.

Un passionné...

Iconographie :
Dernière photo : http://www.ecransdelamer.com/wp-content/uploads/2011/05/PSchoendorfferParThGoisque.jpg
On ira voir avec un grand plaisir le site du photographe Thomas Goisque et suivre Pierre Schoendoerffer, là bas, à Hanoï et sur les hauts-plateaux du Tonkin. De superbes images.
Voir à cette page : http://www.thomasgoisque-photo.com/site.php?page=reportages&spec=avent&id=98
 
Photo du début : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/20/Pierre_Schoendoerffer_%C3%A0_la_Cin%C3%A9math%C3%A8que_fran%C3%A7aise.jpg