15 juin 2013

TERREUR SUR INTERNET

« Ne pas subir » fut la devise d’un Maréchal vendéen d’origine, Jean de Lattre de Tassigny. Cette devise est de bon sens, surtout si on la considère sous l’angle du fait qu’elle peut maintenir en éveil notre capacité réflexive, qualité éminente qui permet d’être sujet et non d’objet des événements, de l’Histoire.

Et aujourd’hui, dans nos contrées occidentales et notamment européennes, alors que - par delà le consumérisme généralisé, le grand remplacement et la désagrégation du tissu social - nous sommes submergés d’informations, alors que pleuvent sur nous des images issues de toute la surface de la terre, il est bon de se rappeler, de faire sienne cette devise du « Roi Jean » (1).  


Barbarie en http (Hyper Text Transfer Protocol)

Depuis quelques temps, on voit fleurir ici et là, particulièrement sur un des vecteurs d’informations (Internet), à l’occasion d’un conflit au Proche-Orient (Syrie), des images de barbarie. Certaines personnes, tout comme des journalistes, usent et abusent de ces images pour dénoncer tel ou tel camp, pour « montrer la vérité », pour éveiller les consciences assoupies. La transmission se fait de manière épidémique, par courrier électronique. Il semble même y avoir, chez ces personnes-relais, une certaine jouissance dans le fait de partager ces images ; nous sommes presque à la limite du malsain.

Certes, cela peut partir d’un bon sentiment, tant il est vrai que les adversaires ou plutôt les ennemis de Bashar al-Assad ne sont pas de « gentils combattants », épris de liberté et de démocratie. Il faut en effet dénoncer cette mascarade, cette désinformation, cette erreur dans l’appréciation de ce qui se passe en Syrie. Rappelons que l’approche morale en matière géopolitique est une erreur absolue ; y succomber ne pouvant que conduire à des conséquences terribles, funestes.

Ce qu’il ne convient pas de faire, c’est de diffuser, de propager ces images de violence extrême. Ce qu’il faut critiquer, ce sont les pratiques de ceux qui - souvent de bonne foi -  servent de relais (inconscients et involontaires) aux djihadistes. Il faut chercher à convaincre autrement les incrédules que par ces images ; ce qui est sûrement plus difficile, c’est certain. Et ce n’est pas la violence et la barbarie qu’il faut dénoncer mais l’idéologie qui sous-tend, qui l’accompagne et qui risque de parvenir au pouvoir, à ses fins. Ne pas être aveuglé par les méthodes pour mieux lutter contre l’idéologie qui en est à l’origine. En effet, n’oublions pas que la violence et la barbarie ne sont pas l’exclusivité de cette idéologie là, à savoir celle de l’islamisme radical. Ce serait une erreur d’analyse dans l’approche et l’intelligence de ce conflit ; pire, c’est tomber dans le piège de l’idéologie même qui la met en œuvre, que de regarder ces images, de les diffuser.




Etat de choc traumatique

On sait la force de l’image ; l’on sait son impact sur les consciences. Les mots et donc les capacités réflexives s’évanouissent devant tant d’horreur. A l’issue, demeure dans nos esprits une marque quasi indélébile, imprimée par le choc subi : la peur. Et c’est là que réside le piège.

Quand on connait un tant soit peu cette idéologie de l’islamisme radical, du djihadisme, l’on sait que le but poursuivi par ses défenseurs, activistes et combattants est justement de répandre la peur, de terroriser leurs adversaires. Chez eux, la terreur n’est pas un moyen, c’est une fin en soi. Par son effet de sidération, la terreur paralyse l’ennemi, ne lui permet plus de réfléchir froidement, de reprendre le dessus et l’offensive. Une fois, la peur instillée, le combat est déjà en partie gagné.

Ainsi, dans Le concept coranique de guerre, du Général pakistanais S.K. Malik, peut-on lire noir sur blanc : « Frapper de terreur le cœur de l'ennemi n'est pas seulement un moyen, c'est aussi une fin en soi. Réussir à semer la terreur dans le cœur de l'adversaire, c'est déjà presque atteindre son but. C'est le point où la fin rejoint et se confond avec les moyens. La terreur n'est pas le moyen utilisé pour imposer notre décision à l'ennemi, c'est la décision que nous voulons imposer à l'ennemi » (2).


L'homme de la Terreur...

Généalogie

Historiquement, la Terreur est née dans le berceau de la Révolution Française. Cette Terreur organisée fut mise en œuvre par l’appareil d’Etat. La Vendée et ses habitants en furent les malheureuses victimes (3), tout en n’étant pas les seules, loin s’en faut…

Par ailleurs, en dehors d’être une politique de gouvernement, il faut prendre acte du fait que la terreur (avec un « t » minuscule, cette fois), tout comme la barbarie, existent et ont existé de tout temps, sous toutes les latitudes, lors des conflits, bien avant 1789. Toutes les guerres ont connu ces horreurs (non pas l’acte de tuer en tant que tel - c’est le propre de la guerre que d’anéantir son ennemi dans un acte de violence organisée - mais de mutiler vivant, de torturer, de faire souffrir des personnes innocentes ou non). Enfin, il serait totalement erroné d’attribuer ces pratiques horribles aux seuls djihadistes. Et si les islamistes combattants utilisent ces « techniques » (aujourd’hui comme hier d’ailleurs) et s’ils démultiplient leur impact par les biais des réseaux de l’Internet, il ne faut pas oublier que la barbarie est avant tout le propre de l’homme. Il doit être entendu aussi que l’idéologie (qu’elle soit islamiste ou non d’ailleurs) est venue structurer, planifier, théoriser la chose. Cependant, aucune civilisation n’est à l’abri de l’émergence de l’horreur, de la barbarie ; par ailleurs, elles ne sont pas exclusivement le fait de personnes malades mentales.

Il est aisé de faire des discours sur la guerre, ses horreurs, loin des bruits et des fureurs de la guerre ; mais il faut bien se rendre à l’évidence que même policé et instruit, tout individu, dans des circonstances particulières (conflits étatiques ou intra-étatiques) peut malheureusement en venir à de telles extrêmes. Des personnes « bien comme il faut », de tout âge, qu’ils soient mariés, pères de famille attentionnés, aimant leurs enfants, quelles que soient leurs croyances, qu’ils aient reçu ou non une bonne éducation et quelque soit leur niveau d’instruction, peuvent commettre les actes les plus horribles, les plus ignobles, les plus barbares. C’est ainsi ; ecce homo

 En Tchétchénie, l'horreur est au bout du chemin...
 
A présent effectuons un petit rappel de l’usage de la terreur à l’heure d’internet. Ces images d’horreur (égorgement, éviscération, mutilation de personnes vivantes ou non) ont été constatées lors des différents conflits qui ont eu lieu depuis la fin des années 90 (Irak, Bosnie, Libye, etc.). Mais ce qu’il faut savoir, c’est que la technique de diffusion de ces images - via le réseau mondial Internet - et mettant en scène de tels actes de barbarie dans le but de propagande est, elle, originellement issue de la guerre en Tchétchénie. C’est en effet lors de ce conflit que les djihadistes ont vu le parti qu’ils pourraient tirer de la chose. Depuis, partout où les djihadistes ont opéré et opèrent, ces pratiques ont été constatées, souvent d’ailleurs selon le même mode opératoire (en particulier pour les décapitations opérées en Irak). De l’Afghanistan aux Philippines (Mindanao), du Pakistan à l’Indonésie (Moluques), de Syrie à l’Afrique (Nigeria, Mali, etc.), par la facilitation due à l’évolution de la technique, ces scènes de barbarie se sont multipliées, propagées. En « rejoignant la caravane » (4), avec l’aide du réseau, l’horreur, la barbarie djihadiste s’est répandue dans l’espace géographique, bien au-delà même du lieu de leur réalisation ; et, à l’heure d’Internet, les caravanes circulent bien vite... En témoignent les récents faits divers inspirés de cette idéologie et qui ont été perpétrés en Europe occidentale (Grande Bretagne, France).

Maîtriser le pouvoir de l’horreur

« L’horreur, l’horreur… ». Ce sont les derniers mots du collecteur d’ivoire Kurtz, dans le roman de Joseph Conrad, « Le cœur des ténèbres ». Gardons nous d’être les victimes de l’horreur, et ce, dans tous les sens du terme : non seulement d’être les victimes premières, à savoir celles qui subissent ces horreurs, mais avant tout celles qui subissent le choc traumatique suite au visionnage de ces images. Il faut tenter de se prémunir de l’horreur, de la terreur, en ne se laissant pas dominer par elle, en l’apprivoisant en quelque sorte. Si elle prend le dessus, notre jugement s’obscurcit, nos actions sont paralysées ; alors nos ennemis ont gagné, avant même la fin du combat.

Tâchons donc de penser clair (et de marcher droit), nous qui sommes sans peur, pour « ne pas subir »...

Retour amont, vers la barbarie...

Notes :

(1) « Roi Jean » fut le surnom du Maréchal de Lattre lorsqu’il était en Indochine.
(2) Cf. p.59 de l’édition en langue anglaise de l’ouvrage publié originellement en Urdu en 1979, et réédité en Anglais à New Delhi en 1986 et en 1993.
(3) Cf. les travaux de Crétineau-Joly et ceux, plus récents et disponibles, de Reynald Secher.
(4) Cf. un des ouvrages théorisant le djihadisme, « Join the caravan » d’Abdullah Azzam (1941-1989).

22 mai 2013

"Dom" est parti...


Dans un geste digne des personnages qu’il admirait, Dominique Venner a mis fin à ses jours le 21 mai 2013 dans un lieu hautement symbolique. 

Un geste qui l’honore car il est resté fidèle à lui même, à ses idéaux, à son éthique, jusqu’au bout. 

Un geste d’une parfaite logique interne, presque prévisible même. 

Un geste à contre courant du relativisme ambiant, un geste pur, tranchant, définitif. 

Un geste ultime qui restera, tel l’acte d’un Mishima, « une tâche indélébile » (pour reprendre le mot d’Alain Leroy dans le roman Le Feu follet de Pierre Drieu La Rochelle).

Honneur à lui !

16 janvier 2013

Une rupture historique dans la diplomatie indonésienne

Depuis sa création en 1945, l’Indonésie a toujours adopté une politique diplomatique propre, consistant à ne pas intervenir dans les affaires intérieures des états souverains, en droite ligne avec le Pancasila (les cinq principes fondateurs qui guident et orientent la Constitution indonésienne). Cette tradition diplomatique de sagesse, de mesure semble avoir volé en éclats avec le dernier discours en date du Président Susilo Bambang Yudhoyono (SBY).

Pour bien comprendre cette rupture, il faut s’arrêter quelque peu sur ces principes qui ont toujours guidé la diplomatie indonésienne. Ces principes furent établis dès 1948 par le Vice-président d’alors, Mohammad Hatta, et faisaient de l’Indonésie de Sukarno un pays ayant une diplomatie bebas aktif, c'est-à-dire « libre et active » ; des principes qui ne furent jamais démentis, faut-il le souligner, par-delà le changement de régime survenu avec l’entrée en scène de Suharto en 1965, son éviction de la scène politique en 1998 et les trois Présidents que l’Indonésie a connu par la suite, jusqu’à l’arrivée de SBY en 2004.

Le fait pour l’Indonésie d’avoir une diplomatie « libre et active » n’a jamais signifié pour autant que celle-ci fût neutre, indifférente et passive, tout au contraire. Le terme «libre» faisant référence à la liberté de l’Indonésie dans sa détermination d’avoir une position et un jugement propres au sujet des affaires du monde, et aussi libre vis-à-vis des blocs ainsi que  dans ses alliances militaires. Quant au terme «actif», il signifie que la diplomatie indonésienne est menée activement et de manière constructive, dans le désir de contribuer à la réalisation de la paix, de la justice, de l'amitié et de la coopération mutuelle entre toutes les nations du monde.

 Le premier président indonésien, Soekarno, en compagnie d'Eisenhower.

Par ailleurs, et pour prendre toute la mesure de la rupture, soulignons que jamais dans l’histoire indonésienne, il n’y a eu d’ingérence dans les affaires intérieures d’un pays tiers, même au sein de l’ASEAN dont l’Indonésie est un des membres fondateurs ; cette conduite  a toujours été une règle d’or. Ainsi, jamais jusqu’à ce jour, un représentant de l’exécutif (fut-il ministre ou chef de l’Etat) n’a demandé publiquement et explicitement la démission d’un président d’un pays souverain.

Mais voilà, le 7 janvier 2013, au Palais présidentiel de Bogor (Java), au cours d’une discussion avec des Oulémas de l’Université du Roi Abdul Aziz d’Arabie Saoudite en visite, une délégation conduite par le Syekh Muhammad Ali As-Shobuni, le président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono a demandé à ce que son homologue syrien démissionne et que ce dernier laisse la place à de nouveaux responsables plus « populaires ». 

L’on peut se demander aujourd’hui, après cette déclaration de SBY, en quoi les principes diplomatiques de l’Indonésie - réaffirmés durant la Conférence de Bandung de 1955 - sont toujours valides, et si ce pays est encore vraiment libre dans ses jugements et prises de position, tant il semble rallier les vues les plus mondialistes. On se rappelle pourtant comment, dans une prise de position courageuse et éclairée, l’Indonésie avait décidé en 2008, à la fin du premier mandat de SBY, de ne pas reconnaître le Kosovo bien que celui-ci fut un pays majoritairement composé de musulmans et que l’Indonésie est le pays du monde qui compte le plus grand nombre de musulmans sans être pour autant un « pays musulman » (1), id est ayant l'Islam comme religion d’État et/ou ayant la Shari'ah comme principal ou unique fondement du droit.

L'actuel ministre des affaires étrangères indonésiennes, Marty Natalegawa (*).

Force est de constater aujourd’hui que la donne diplomatique indonésienne change, ceci en rupture totale avec ses principes fondateurs, sans susciter de réactions dans la classe politique indonésienne, ce qui est encore plus inquiétant. Cette tradition diplomatique, « libre et active », qui fut la fierté des indonésiens depuis la naissance de la République, laisse désormais la place à des orientations mondialistes bien décevantes. Cette rupture historique s’explique peut être par le fait qu’il s’agirait du prix à payer par l’Indonésie pour l’obtention d’une reconnaissance auprès des instances internationales, pour regagner le soutien des Etats-Unis et faire partie des « grands » parmi les pays ré-émergeants. Si les motifs de cette rupture restent inconnus officiellement, les faits, eux, sont assez marquant cependant pour attester d’une nouvelle voie (radicale) entreprise par ce géant de l’Asie du Sud-Est (2) dans la conduite de ses affaires étrangères.

Notes :
(1) L’Indonésie compte 250 millions d’habitants dont environ 85% sont déclarés musulmans.
(2) L’Indonésie est une des plus grandes démocraties du monde après l’Inde et les Etats-Unis, faut-il le rappeler.
(*) Pour un peu plus d'informations sur le ministre des affaires étrangères Marty Natalegawa, on pourra lire cet ancien "post" à cette adresse : http://philippe-raggi.blogspot.fr/2009/10/marty-natalegawa-le-nouveau-visage-de.html 


Iconographie : 
Soekarno et Eisenhower : http://rosodaras.wordpress.com/2010/06/04/
Marty Natalegawa : http://rustikaherlambang.files.wordpress.com/2008/11/marty.jpg